Contre le politiquement correct, le «mépris civilisé»

Le mépris civilisé est un titre qui force la curiosité et exige une explication: concept humaniste, dans le sens authentique du terme, il n’a rien d’une injonction à haïr poliment son prochain.

 

Fabio Lo Verso 26 septembre 2016

Carlo Sprenger, de nationalité suisse (il est né à Bâle en 1958) et israélienne, philosophe et psychanalyste, fait partie du comité d’observation du terrorisme au sein de la Fédération mondiale des scientifiques. Il utilise la raison pour appréhender et prévenir ce qui est irrationnel, immoral, incohérent, en un mot inhumain, aujourd’hui incarné par le fanatisme religieux et l’extrémisme violent. Il travaille pour unir les personnes, non pour les diviser. Dans le plus pur esprit des Lumières, son dernier livre, paru en janvier aux Éditions Belfond, est un hymne à l’exercice de la faculté de critique, contre le politiquement correct qui paralyse la pensée et nourrit paradoxalement l’intolérance. Son antidote, le mépris civilisé, est le «principe même de la formation d’une opinion responsable», reposant «sur des arguments fondés et sur des connaissances précises et exhaustives». Assez de ces débats politiques et médiatiques creux, empreints de mauvaise foi, qui alimentent les frustrations et attisent le malaise social!

C’est à ce cirque politico-médiatique que le mépris, premier mot du nouveau concept forgé par Carlo Sprenger, incite à s’opposer. Mais ce mépris n’est vraiment civilisé que lorsqu’il s’appuie «sur des connaissances scientifiques et une argumentation solide qui doit être à tout moment soumise à une critique rigoureuse, et il ne peut servir de prétexte pour humilier les gens qui pensent autrement». Professeur de psychologie à l’Université de Tel-Aviv, Carlo Strenger réclame l’avènement d’une «culture du mépris civilisé» fondée sur «une autodiscipline intellectuelle qui engage à collecter des informations et à les évaluer avec soin», chaque individu étant moralement obligé d’adopter, dans sa démarche de compréhension de la réalité, «les mêmes critères épistémiques qu’il exige dans le domaine de la médecine de ses finances personnelles». Ce principe, précise l’auteur, «se dirige contre des opinions, des credo, des valeurs, jamais contre les individus qui les professent. La dignité et les droits fondamentaux de ces derniers doivent toujours être garantis et ne leur être déniés sous aucun prétexte».

Ce livre est une invitation à bannir la sous-culture de l’invective blessante et de l’insulte publique ad personam. L’auteur taille premièrement en pièces le politiquement correct, issu de la gauche mais séduisant la droite, puis le relativisme postmoderne, selon lequel toutes les visions du monde se valent et rien ne permet de les critiquer. Contre cette dérive, il invoque Kant, Locke, Spinoza et les grands interprètes des Lumières, Voltaire, Condorcet, etc. Lorsqu’il est sorti pour la première fois en Allemagne, en 2015, avant les attentats de novembre, mais après la tuerie de Charlie Hebdo, la Berliner Zeitung accueillait le livre de Carlo Strenger comme une «source d’inspiration»: «Contre les dérives du politiquement correct, le mépris civilisé est un concept pratique et intelligent pour défendre nos libertés, un appel à prendre position

 
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