Redevance LRTV, les anomalies d’un scrutin piégé

 

 

 

Fabio Lo Verso
1 juin 2015

Les Suisses renonceront-ils à s’accorder une baisse de la redevance radio-télévision de 451 à 400 francs par an? À l’approche du scrutin du 14 juin, les sondages renforcent cet étonnant scénario, jetant la SSR dans l’embarras. Le groupe audiovisuel public reçoit un message de défiance. Les foyers suisses ne semblent pas convaincus par ce rabais d’un peu plus de 10%, réflexe inattendu de consommateurs qui douteraient de la qualité de la marchandise. Donc de l’honnêteté de l’offre.

Exit le régime de la redevance liée à la possession d’un appareil radio-TV, les foyers suisses verseraient le même montant de 400 francs, qu’ils consomment ou non le menu de la SSR. Un nouvel impôt, qui ne dit pas son nom, ferait son apparition en cas de «oui». Il frapperait de façon progressive les entreprises réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 500 000 francs. Là aussi, sans distinguer celles qui profitent ou non de l’offre audiovisuelle publique.

SYSTÈME CONTRE-INTUITIF

Ce système est contre-intuitif. Il consacre l’émergence d’un prélèvement généralisé sans que les contribuables comprennent véritablement sur quoi et pourquoi ils vont être taxés. S’il ne concerne plus la réception des programmes, quel est le sens du nouvel impôt radio-TV? Le message du Conseil fédéral — «tout le monde profite du service public, il est logique que chacun apporte sa contribution» — est inaudible pour qui attend une redéfinition en profondeur de ce même service public.

C’est un contresens d’introduire un prélèvement généralisé avant de poser son fondement. Le Conseil fédéral, engagé à revoir la définition de service public audiovisuel en 2016, inverse la temporalité des choix. Accepter de figer un montage fiscal un an plus tôt serait prématuré, le refuser remettrait dans le bon ordre la séquence démocratique, évitant une anomalie.

La pression monte en faveur d’une révision de la mission de la SSR. La question de la multiplication des «séries américaines», de la surabondance de l’offre sportive et de programmes de divertissement, est posée avec fracas. Que ferait le Conseil fédéral si, en 2016, la redéfinition du service public aboutissait à l’exclusion d’émissions jugées superflues? Il opposerait une fin de non-recevoir à toute pression politique pour réduire le train de vie de la SSR. En faisant précisément valoir le scrutin du 14 juin.

En coupant net le lien entre la redevance, muée en impôt, et la réception des programmes, le «oui» légitimerait le décrochage avec le strict mandat public. Il serait alors improbable que la taxe reste plafonnée à 400 francs, au vu des développements, logistique et immobilier, de la SSR. Les opposants craignent, à raison, une hausse à terme du nouvel impôt, une fois arrimé à la courbe des projets d’expansion, au-delà du pur financement du service public. Ce qui expliquerait pourquoi la SSR mène campagne pour le «oui», susceptible d’augmenter ses investissements, le «non» n’ayant aucun impact sur son enveloppe budgétaire actuelle et future.

TRANSFERT OUTRANCIER

Le nouveau dispositif accorderait au gouvernement le pouvoir de relever, unilatéralement, le montant de l’impôt. Nouvelle anomalie, il introduirait une variable de verticalité, brisant l’horizontalité fédéraliste du système, construit sur la représentativité régionale et linguistique, dont le parlement est dépositaire.

Autre anomalie, le «oui» dégagerait une enveloppe de 26 millions répartis entre 21 radios et 13 télévisions régionales au bénéfice d’une concession. Si les Suisses doutent de la capacité de la SSR, entité publique, à interpréter correctement sa mission de service public, pourquoi devraient-ils faire confiance aux diffuseurs privés?

Ce magot de 26 millions, offrant un «bol d’air à des chaînes en difficulté», serait prélevé dans les caisses d’autres entreprises, qui en auraient tout aussi besoin. Les éditeurs de journaux en premier lieu, ceux qui s’acquittent, par l’écrit, d’une fonction démocratique aussi essentielle que le service public audiovisuel.

Il y aurait là un transfert outrancier de ressources, qui achèverait de trahir l’anomalie mère du système: les médias audiovisuels sont mis sous perfusion fédérale, alors que la presse écrite ne bénéficie d’aucune politique publique digne de ce nom, à l’exception d’une loi minimaliste nommée «aide à la presse», menacée de disparition. Un comble.

 

Paru dans l’édition de juin 2015