Johnny et orbi

 
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William Irigoyen

7 décembre 2017 — En raison «d’une actualité de portée planétaire», du moins dans l’esprit de certains confrères, téléspectateurs et auditeurs ont eu droit, hier, en lieu et place des journaux dits d’information, à un remake du Jour du seigneur. Mercredi 6 décembre, tout le pays, et peut-être davantage, était appelé à communier en mémoire d’un chanteur d’expression française disparu la nuit précédente.

Reconnaissons-le, d’un point de vue technique, ce fut une véritable réussite. Tout y était: l’apologie du défunt à la carrière immense dont la renommée devait sans doute flirter avec celle des plus grands noms de l’Histoire humaine. Ite missa hallydayum est. La grand-messe canonisa Johnny Hallyday. Rien ne fut oublié ou si peu des détails biographiques du célèbre défunt.

On revit donc Johnny jeune, moins jeune, et même beaucoup moins jeune. On rappela ses succès, ses déhanchés sur scène autrefois jugés scandaleux... Ses amis furent convoqués sur les plateaux. Celui du 20h de France 2 vit défiler Line Renaud, Philippe Labro, Michel Drucker ou encore André Manoukian, expert convoqué pour décrypter le mystère de la voix si «caractéristique» de Johnny.

Ce qui frappe l’attention du téléspectateur critique – «méchant et cynique», diront les apôtres de ce genre de rendez-vous – c’est l’absence de distance. L’hommage sera emphatique ou ne sera pas. Il doit signifier que le pays est à l’unisson de ce grand recueillement. Combien de fois n’a-t-on pas entendu «la France entière», «nous» durant la journée d’hier? Traduction: si vous n’entrez pas dans ce concert de louanges, vous êtes anormal.

Lorsque, par un beau jour de septembre 1982 Bernard Langlois, présentateur d’Antenne 2 midi, mit en regard deux décès appris le même jour, ceux de Bachir Gemayel et de Grace de Monaco, ajoutant qu’ils n’avaient «pas le même poids sur les balances de l’histoire», il signifia que son rôle de présentateur ne devait pas occulter sa nécessaire dimension critique, vertu cardinale du métier de journaliste.

Aujourd’hui, on n’en est plus là. Tout confrère à qui il viendrait cette idée folle de s’aventurer sur le terrain de la mise à distance, du questionnement, de l’examen, serait considéré comme un paria, un empêcheur de tourner en rond. Comme si, refuser de céder à l’hagiographie était une tare, un crime politique dans un monde médiatique devenu tellement sirupeux qu’on confond journaliste et vendeur de lessive.

Vous n’aimez pas Johnny Hallyday? On entend déjà la question. Comment traiter de façon journalistique le parcours d’un chanteur disparu? En acceptant l’idée qu’une remise en question des supposées icônes est obligatoire.

Hier matin, sur les ondes de France Culture, Jean-Marc Chardon a fait une belle chronique sur les démêlés de Johnny Hallyday avec le fisc. Quelques heures plus tôt, un des nombreux habitants de la planète Twitter exhumait un article de l’hebdomadaire Le Point sur les libertés prises par Jean d’Ormesson en 2007-2008 avec le Trésor Public. Malheureusement, ce nécessaire rappel des faits fut souvent noyé dans un océan lacrymal.

Cela ne devrait pas s’arranger dans les prochains jours puisqu’il est désormais question d’hommage national. Le Palais de l’Élysée, paraît-il, ne l’exclut pas. Soyons sûrs qu’une bonne partie de la scène médiatique va continuer de surfer sur ces vagues d’hyperboles qui envahissent depuis vingt-quatre heures, à de rares exceptions près, écrans de télé et postes de radios.

«C’est un peu comme si Paris perdait sa tour Eiffel» a dit sans rire Benoît Hamon, ancien candidat socialiste à la présidentielle à propos de la mort de Johnny Hallyday. Propos relayés tels quels dans les journaux télévisés. Hier, le journalisme s’est encore fourvoyé. Respectons la peine sincère des parents et proches du défunt. De grâce, bien chers frères de la presse, refusons ensemble la canonisation cathodique.

 

 

 
ÉditorialWilliam Irigoyen