Le fond du front républicain

 

 

 

William Irigoyen
24 avril 2017

Les temps changent. Lorsque, le 21 avril 2002, Jean-Marie Le Pen se qualifie au second tour de l’élection présidentielle française, des manifestations se déroulent à Paris et en province. Quinze ans plus tard, Marine Le Pen fait mieux que son père lors de ce scrutin roi. Surprise: aucun rassemblement n’a lieu. Ou si peu.

Dès l’annonce des résultats, environ 300 jeunes se sont mobilisés dans la capitale, place de la Bastille, à l’appel de mouvements «antifascistes». Des heurts ont eu lieu avec la police. Il y a eu plusieurs interpellations. Deux personnes ont été blessées. D’autres ont été conduites au poste pour «vérifications». Bien sûr, la cheffe de l’extrême droite hexagonale n’aura rien vu ni entendu. Elle se trouvait à des kilomètres de là, à Hénin-Beaumont, son fief situé dans le département du Pas-de-Calais.

Pendant ce temps-là, Emmanuel Macron, arrivé en tête de cette première manche, savourait l’ivresse de sa performance à La Rotonde, une brasserie chic du XIVe arrondissement de Paris, en compagnie de personnalités médiatiques. À voir les images diffusées par les chaînes de télévision en continu, cela évoquait la sortie au Fouquet’s, autre institution parisienne, de Nicolas Sarkozy après sa victoire contre la «socialiste» Ségolène Royal le 6 mai 2007.

Le fondateur d’En Marche devrait prendre garde. Certaines images finissent par coller à la peau. C’est peu dire qu’il apparaît déjà comme le candidat de la finance, lui, l’ancien banquier de chez Rothschild où il officia entre 2008 et 2012. La Bourse de Paris a d’ailleurs célébré le bon score de son candidat: à l’ouverture du Palais Brongniart, ce lundi 24 avril, elle a bondi. La confiance des marchés, il paraît que ça compte.

Le système médiatique veut croire qu’Emmanuel Macron l’emportera. Dès hier soir, deux enquêtes étaient portées à la connaissance du grand public selon lesquelles l’ancien ministre de l’économie l’emporterait largement face à sa concurrente: 64-62% contre 36-38%. En clair, tout serait déjà joué. Pour reprendre les mots de Marine Le Pen, le peuple français aurait donc déjà choisi, avant même de voter le 7 mai, entre «une dérégulation totale, sans frontières et sans protections» et «la France, des frontières qui protègent nos emplois, notre pouvoir d’achat, notre sécurité, notre identité nationale».

Comme d’habitude, les Républicains de tout bord invoqueront la nécessité de voter pour celui qui est supposé porter haut la célèbre devise «Liberté Égalité Fraternité». En être réduit à choisir entre ces deux histrions, purs produits de la société médiatique: voilà bien le drame aujourd’hui pour tous ceux qui ont une conception autre de la politique et qui, à la démagogie rassurante ou haineuse, préfèrent des représentants dont les convictions ne fluctuent pas en fonction des événements et sont de vrais rassembleurs.

Parce qu’il faut bien opter pour le moindre mal, l’auteur de ces lignes glissera un bulletin dans l’urne en étant toutefois persuadé, comme d’autres, de toucher le fond du front républicain. Malheureux pays.