Une transparence totalitaire?

 

 

 

William Irigoyen
12 février 2017

La semaine dernière, la journaliste Ruth Elkrief, un des visages connus de la chaîne de télévision privée BFMTV, commentait la conférence de presse donnée par François Fillon, le candidat officiel de la droite et du centre à l'élection présidentielle française. Ce dernier s'expliquait dans ce qu'il est convenu d'appeler, depuis que l'hebdomadaire Le Canard Enchaîné a révélé ce que l'on sait, le «Penelopegate».

Sur le même plateau, à la gauche de Ruth Elkrief (géographiquement s'entend) se trouvait Anna Cabana, une chroniqueuse politique travaillant pour le même diffuseur. Journalistes toutes les deux, elles ont dénoncé «une demande totalitaire de transparence» («complètement» a ajouté l'une, «très forte» a surenchéri l'autre). Traduction: tous ceux qui exhortent la classe politique hexagonale à être transparente ont un comportement dictatorial.

Autre temps, autre affaire, mêmes mots. En 2009, Henri Guaino, alors conseiller spécial de l'Élysée (le président d'alors s'appelait Nicolas Sarkozy) dénonçait une «espèce de transparence totalitaire, mesquine» après que le même Canard Enchaîné eut publié son salaire annuel: 290.000 euros. Que la droite soit plus vertueuse que la gauche ou inversement, chacun jugera à partir de faits avérés.

Ce qui doit interroger chacun d'entre nous c'est cette tendance à voir dans cette exigence de transparence une maladie honteuse, transmise au bon peuple par des vils confrères qui — crime de lèse majesté — ont l'outrecuidance d'exercer ce droit pourtant démocratique en pleine campagne électorale.

Mais qu'auraient-ils dû faire? Garder leurs informations et les révéler après le scrutin? Que n'aurait-on dit alors? Qui doit être blâmé: ceux qui apportent des faits (à charge ensuite pour la justice d'instruire au cas où ceux-ci seraient attentatoires au droit) ou ceux qui veulent les étouffer?

Mettons-nous maintenant à la place des électeurs de droite ou de gauche qui voient ou qui pourraient voir (la campagne ne fait que commencer) leur champion(ne) empêtré(e) dans des affaires. Comprenons qu'ils soient dérangés, attristés, en colère même. Peut-être auront-ils malheureusement envie de ne plus voter ou de se tourner vers les apôtres de solutions radicales. Est-ce la faute de ceux dont la mission est de rendre publics les faits ou celle des responsables politiques qui cultivent l’opacité?

Certains rétorqueront que l'affaire Fillon est une entreprise téléguidée par des journalistes de gauche. Que certains confrères, comme n'importe quel citoyen, aient des convictions politiques, personne ne le niera. Les subordonnent-ils pour autant à l'exposé des faits? L'auteur de ces lignes n'adhère pas à cette thèse. Le Canard Enchaîné comme Mediapart, pour ne citer qu'eux, ont déjà enquêté et révélé des faits embarrassants pour les deux camps.

Le documentariste et écrivain Paul Moreira est peut-être celui qui, pour le moment, a le mieux tranché ce débat. C'était le 9 février dans l'émission 28 Minutes sur la chaîne Arte: «L'info qui m'a passionné, c'est plus le fait que son cabinet (François Fillon) bosse pour AXA, ce que je ne savais pas. Cela serait resté dissimule s'il n'y avait pas eu tout ce tintouin, cette volonté de transparence. Je pense qu'il nous la doit cette transparence. Parce que, quand il dit «je vais réformer la sécurité sociale et confier une partie plus importante des remboursements aux assurances privées», et que je découvre qu'il bosse pour AXA, je me dis «non, il faut que je le sache». Je ne dis pas que c'est illégal, mais juste qu'il faut que je le sache, c'est tout.»

Merci donc à certains journalistes d'exercer cet impérieux devoir de transparence. Quant aux électeurs, ils choisiront en connaissance de cause. Gageons que leur rigueur, comme celle des journalistes, l'emportera sur leur a priori idéologique.

 

 
ÉditorialWilliam Irigoyen