En France, le livre qui plonge dans les conflits d’intérêts en politique

 

 

 

William Irigoyen
6 mars 2017

«Il n’y a pas de crise de la démocratie: il y a une confiscation de ses institutions par notre classe supérieure», écrit Nicolas Framont dans un passionnant essai — Les candidats du système. Sociologie du conflit d’intérêt en politique (Le Bord de l’eau) — dont la publication, le 15 mars prochain, ne devrait pas passer inaperçue en cette période de campagne présidentielle hexagonale aussi déconcertante factuellement qu’inquiétante politiquement.

Selon le sociologue français et enseignant à l’université Paris-Sorbonne, «nos politiques ont pour point commun de faire partie d’une classe supérieure qu’on pourrait nommer la bourgeoisie, au sens où sa principale caractéristique est de concentrer entre ses mains une bonne partie des capitaux qui constituent l’économie de notre pays». Et si les citoyens, actuellement en pleine ébullition, s’en émeuvent chaque jour un peu plus au point de verser dans le «tous-pourris» pour les plus véhéments ou le PRAF-isme (Plus Rien À Faire, Plus Rien À Foutre) pour les plus résignés, c’est parce qu’ils voient se creuser les inégalités entre eux et «les autres», comprendre ainsi les «élites nanties».

Écoutons l’auteur: «Nous croyons que la corruption de nos politiques est infra-judiciaire: elle ne comporte ni pots-de-vin, ni messages secrets ni poignées de main conspiratives. Cette corruption est liée à un mode de vie, où la fréquentation des grands patrons, des hauts fonctionnaires et des actionnaires est considérablement plus quotidienne que celles des salariés, des employés et des locataires qui composent pourtant majoritairement la population de ce pays

Dans cet univers de solidarité entre puissants, on trouve des «notables» (ne parle-t-on pas de «fief» politique?), des «héritiers», des «technocrates» souvent issus des mêmes écoles où, malgré quelques réformes, les catégories supérieures de la société demeurent surreprésentées. S’y créent des réseaux rassemblant de brillants esprits, certes, mais dont il devient difficile d’apprécier, une fois au pouvoir, les différences politiques: «Arrivé à la fin du quinquennat de François Hollande, force est de constater que les différences entre socialistes et républicains ne se font plus qu’en termes de degré: quand les uns veulent réduire la dépense publique de façon mesurée, les autres veulent supprimer des centaines de milliers de fonctionnaires

Le sociologue montre aussi comment les recherches de solutions collectives reposent parfois sur des visions totalement sinon erronées, du moins trop simplistes, de la réalité. Ainsi, des responsables politiques parlent de l’«entrepreneur», au singulier, comme s’il y avait un portrait-type de ce dernier, comme s’il était possible de comparer le PDG d’une entreprise du CAC 40 et un «commerçant avec un salarié».

Pis, quand ces mêmes élus prodiguent des solutions radicales pour le pays — souvent au nom de la «nécessité économique», en usant et abusant du mot magique de «réforme» — dont ils ne voient même pas les effets désastreux sur le terrain. Et l’essayiste de citer l’exemple de l’hôpital public que ne fréquente plus une bonne partie de la classe politique qui préfère souvent aller se faire soigner «dans le privé».

Attendons de voir comment le livre de Nicolas Framont sera reçu par la presse dont une partie se voit reprocher, à juste titre, de relayer la pensée néo-libérale dominante. Accuser l’auteur de suivre une démarche «populiste», mot fourre-tout bien utile pour tuer le débat, serait injuste et erroné. Son analyse trahit davantage une envie de porter secours à une démocratie asphyxiée par l’entre-soi. Précisons que tout n’est pas noir dans son constat.

Ainsi reconnaît-il que «notre société a progressé vers une égalité de droit entre citoyens», contrairement à ce qui prédominait encore sous l’Ancien Régime où «la vie d’un paysan (...) ne valait pas celle d’un noble». Ce que l’essayiste appelle de ses vœux, c’est un système où la «traçabilité» de la décision politique permettrait de s’assurer que c’est bien «l’intérêt général» — notion de moins en moins pertinente aujourd’hui — et non celui d’une cercle restreint qui est pris en compte. Tout cela nécessite bien sûr des élus intègres qui rendent public le nom de leurs donateurs, échappent aux conflits d’intérêts, résistent aux lobbys...

En ces temps où un scandale chasse l’autre, éclaboussant une grande partie de la classe politique — y compris les Janus qui s’enorgueillissent d’avoir la «tête haute» et les «mains propres» —, on se dit que tout cela ressemble à une grande utopie. N’en faudra-t-il pas une pincée quand viendra le temps de la reconstruction, en lieu et place de l’actuel système politique devenu, reconnaissons-le, un gigantesque champ de ruines?