Tomber «amoureux» de son pays

Metin Arditi est un écrivain brillant. Et un homme amoureux. De la Suisse, sa patrie de cœur et d’adoption. Dans le dictionnaire qu’il lui dédie, paru chez Plon en mars dernier, l’auteur d’origine turque propose un abécédaire à son image: sobre, curieux et astucieux.

 

Luisa Ballin
4 avril 2017

À chaque lettre de cette ode à l’Helvétie, un souvenir. Ou serais-ce une nostalgie? D’une ville: Bâle la royale, Berne la charmante, Lausanne et ses arts, Zurich ou le vrai argent, Genève et son esprit, ou encore La Chaux-de-Fonds, métropole à l’urbanisme horloger figurant au patrimoine mondial de l’UNESCO, qui vit naître Blaise Cendrars, fougueux artisan des mots et Le Corbusier, architecte visionnaire qui a imaginé et réalisé un type d’habitat pensé pour l’Homme, «un lieu oû ce dernier trouvera son ’bien-être’ et pourra exercer ses quatre fonctions essentielles: habiter, travailler, se cultiver et circuler».

La Suisse, patrie de bâtisseurs et terre d’écriture. Par quel miracle attire-t-elle autant d’écrivains? «Thomas Mann, Bertold Brecht ou Robert Musil s’y installeront en réfugiés politiques. Mais Hess, Borges ou Nabokov n’étaient pas contraints, ils avaient librement choisi de faire de la Suisse leur dernière patrie. Tant d’autres sont venus écrire dans ce pays dont on répète qu’il ne s’y passe rien qui puisse stimuler l’imagination... Que cache donc cette Suisse conventionnelle, engluée dans son bien être, plus soucieuse d’efficacité que de rêve, pour attirer des Rainer Maria Rilke ou des Patricia Highsmith, dont le métier est d’imaginer?» se demande Metin Arditi, un brin provocateur.

La Suisse, pays mystérieux, a aussi vu naître Jean Tinguely et abriter ses amours avec la talentueuse Niki de Saint Phalle. Tout comme leur créativité partout saluée. «Le succès ne change pas les grands artistes. Il les conforte dans leur liberté»... «Couple d’une solidarité rare qui incarnera l’une des aventures artistiques les plus flamboyantes du XXe siècle», affirme l’écrivain.

Mais si Metin Arditi a la plume heureuse pour célébrer, il sait griffer avec un même talent. S, comme Swissair ou l’amour perdu. Il fut un temps, se souvient-il, où «monter dans un avion Swissair, c’était être choyé, se sentir en sécurité. C’était déjà être en Suisse. Et voilà qu’en un rien de temps, la fierté du pays devient l’objet d’un drame et d’une angoisse nationales». Drame du vol New York-Genève qui s’échouera au large de la Nouvelle-écosse et dont aucun des 229 occupants ne survivra.

Viendra ensuite une gestion calamiteuse, puis l’épisode humiliant, du grounding des avions de l’une des meilleures compagnies du monde, cloués au sol. Swissair étant incapable d’honorer ses dettes. «Des sociétés se créent, d’autres disparaissent. Mais cela n’excuse pas l’incompétence et l’arrogance des dirigeants de Swissair

Pour Metin Arditi, l’amour de la Suisse passe aussi par l’estomac. Et le gourmet des lettres d’avouer sa passion pour les fromages suisses et les vignes en terrasse du Lavaux, et d’un lieu de production: le dézaley, nom de vent et appellation phare, situé sur la commune de Puidoux. «Une fascination», se délecte l’épicurien, féru d’une suissitude à laquelle il rend hommage en 170 définitions. Et une dédicace à Elias Sanbar, écrivain et ambassadeur palestinien, «qui lui aussi connaît la douceur des terres d’accueil».