L’or de la guerre n’éclabousse pas la Suisse

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[dropcap]L[/dropcap]a nouvelle avait fait le tour du monde. Fin octobre 2013, la très sérieuse ONG TRIAL avait transmis à la justice suisse un dossier retentissant à charge contre Argor-Heraues SA, basée à Mendrisio, au Tessin, l’une des  plus importantes raffineries d’or du monde. La société tessinoise y était accusée d’avoir traité de l’or pillé et détourné à des fins de guerre en République démocratique du Congo (RDC). Plus précisément, de l’or éclaboussé par le sang des victimes massacrées dans la région de l’Ituri, dans le nord-est de la RDC, où l’armée du Front des nationalistes et intégrationnistes (FNI) a exploité, dès 2002, la concession aurifère appelée «Concession 40» pour financer ses opérations de guerre et acheter des armes. Une part importante de cet or a été vendue en Ouganda à la société Uganda commercial Impex (UCI) qui la revendait à la société Hussar, basée sur l'île anglo-normande de Jersey. C’est dette dernière qui avait chargé Argor-Heraeus de le raffiner entre juillet 2004 et juin 2005.

Le Ministère public de la Confédération (MPC) vient de classer la procédure contre la raffinerie tessinoise Argor-Heraeus, qu’elle avait ouvert début novembre 2013. Datée du 10 mars 2015, l’ordonnance de classement est signée par Andreas Müller, procureur fédéral au centre de Droit pénal international du MPC: «La procédure pénale contre A., inconnu et subsidiairement B. pour soupçons de complicité de crimes de guerre et de blanchiment d'argent, qui auraient été commis entre juillet 2004 et juin 2005 en affinant de l’or brut pillé en République démocratique du Congo, est classé.» B c'est Argor-Heraues SA, A. est son ancien vice-président.

[su_pullquote align="right"]DOUCHE FROIDE[/su_pullquote]Le 4 novembre 2013, les membres de l’ONG avaient fait éclater leur immense satisfaction à l’annonce de l’enquête fédérale. Jeannette Balmer, porte-parole de l’MPC, confirmait aux médias: «Nous avons examiné la plainte et nous avons décidé d’ouvrir une procédure pénale contre la société concernée.» Aujourd’hui, seize mois plus tard, c'est la douche froide.

Ce jour de novembre 2013, la police judiciaire débarquait chez l’entreprise avec un mandat de perquisition. Les enquêteurs ont saisi des éléments de preuve, notamment des ordinateurs. Des liaisons téléphoniques ont été mis sur écoute. Les allégations formulées contre la société étaient graves: blanchiment d’argent en relation avec un crime de guerre et complicité de crime de guerre. Entre 2002 et mars 2015, la société tessinoise a compté dans son conseil d’administration Adolf Ogi. L’ex-conseiller fédéral a donné sa démission le 12 mars dernier, deux jours après la signature de l’ordonnance de classement.

[su_pullquote align="right"]POLITIQUE DE L’AUTRUCHE[/su_pullquote]L’ordonnance du MPC affirme qu’on doit supposer que l’or affiné par Hussar était pillé. Mais, «une participation directe n’a été constatée, ni paraît évidente». Le MPC considère que «l’entreprise B (ARGOR_HERAEUS SA) aurait pu, à l’aide de rapports d’ONG et de l’ONU déjà disponibles en 2004, avoir connaissance du fait que l’or brut livré d’Ouganda avait de grandes probabilités d’avoir été pillé à l’est du Congo et de servir au financement du conflit qui se passait là-bas. Cet «aurait pu avoir connaissance» ne suffit pas pour supposer la commission d’un dol (éventuel).»

Les accusation de blanchiment d’argent et de complicité de crimes de guerre à l’égard de l’entreprise et de son ancien vice-président sont donc considérées comme infondées. Dans un communiqué, la société salue cette décision.

«Cette décision est comme une forme de récompense pour les entreprises qui pratiquent la politique de l’autruche. Il leur suffira de ne plus lire la presse, les rapports onusiens ou des ONG pour s’éviter des ennuis. La décision montre également le besoin criant de réformes en Suisse, car le cadre légal ne permet visiblement pas de prévenir ce genre de situation», conclut, amer, Bénédict de Moerloose, avocat de l’ONG TRIAL.