En Allemagne, l’option énigmatique d’un «gouvernement minoritaire»

© Thomas Reimer / 2017

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Angela Merkel préfèrerait être candidate à de nouvelles élections plutôt que de diriger un exécutif s’appuyant sur une minoritaire parlementaire, une solution qui, malgré son instabilité intrinsèque, commence à se frayer un chemin dans l’opinion.

 

Déborah Berlioz Correspondante à Berlin 29 novembre 2016

Ces derniers jours, le débat politique allemand semblait en être réduit à ce dilemme: renouveler la grande coalition ou convoquer de nouvelles élections. Mais une troisième option s’est, de façon presque inattendue, frayée un chemin dans l’opinion: former un gouvernement minoritaire. Timidement évoquée par les partis, elle est rejetée par Angela Merkel qui préfèrerait être candidate à de nouvelles élections. Une position qui récolte un large écho dans la population. Selon un sondage Infratest Dimap, quelque 60% des Allemands souhaitent renouveler le Bundestag, alors que 30% aimeraient un gouvernement sans majorité.
L’Allemagne a testé cette option trois fois au niveau des Länder, avec des résultats mitigés. L’expérience n’a jamais été tentée au niveau national. Si l’expression ne figure pas dans la constitution fédérale, un «gouvernement minoritaire» demeure pourtant possible, selon l’article 63. Il prévoit que si le candidat élu à la Chancellerie échoue par deux fois à obtenir la majorité absolue au Bundestag, il peut être élu au troisième tour à la majorité simple. Dans ce cas, le président de la République peut soit le nommer à la tête d’un gouvernement s’appuyant sur une minorité parlementaire soit convoquer un nouveau scrutin. C’est ce dernier scénario que l’actuel chef de l’état, Frank-Walter Steinmeier veut précisément éviter.
Tous les yeux se sont alors tournés vers ce qui paraissait impensable il y a quelques jours encore:  une troisième édition de la «GroKo», la «grande coalition» gouvernementale réunissant les conservateurs (CDU) d’Angela Merkel et les sociaux-démocrates (SPD) de Martin Schulz. Probable pour certains, improbable pour d’autres, elle tient le pays en haleine.

En attendant que les militants du SPD tranchent la question lors du congrès fédéral du parti, qui se tient du 7 au 9 décembre à Berlin, l’option du gouvernement minoritaire alimente le débat. Ce sont les difficultés intrinsèques qui sont désignées en premier. à commencer par ce constat: si une coalition peut s’appuyer sur une majorité parlementaire durable afin de faire passer des lois, un exécutif soutenu par une minorité devra sans cesse trouver de nouveaux alliés qui approuveraient ses mesures. Interrogé par le quotidien Süddeutsche Zeitung, le juriste Thomas Puhl y voit un danger de «pétrification» de la politique allemande: légiférer deviendrait extrêmement chronophage et il serait très difficile d’imposer de grandes réformes. Oskar Niedermayer, politologue à l’Université Libre de Berlin, n’imagine pas un tel gouvernement fonctionner sur la durée. «Pour un député isolé, cela pourrait être l’heure de gloire du parlementarisme, explique-t-il dans les colonnes du Handelsblatt. Il peut ainsi faire chanter tout un gouvernement, en demandant des contreparties pour l’aider à trouver une majorité. De plus, cela ne correspond pas à la culture politique de notre pays. Les Allemands aiment la stabilité, et un gouvernement minoritaire est par définition instable

Le souvenir traumatisant de la République de Weimar contribue pour beaucoup à la peur allemande de l’instabilité gouvernementale. Entre 1918 et 1933, le paysage politique était divisé entre de très nombreux partis, et les chanceliers sans majorité se sont succédé. Toutefois, le journaliste Marc Beisel rappelle que le contexte a bien changé. «Le pays est stable aujourd’hui, et l’économie bénéficie d’une croissance robuste et durable», écrit-il dans un éditorial pour la Süddeutsche Zeitung. Pour Marc Beisel, le plus grand avantage du gouvernement minoritaire serait de raviver les discussions au parlement. Ces dernières années, «de nombreuses questions décisives étaient réglées au niveau du gouvernement, entre les dirigeants de la CDU et du SPD, et étaient ensuite imposées au Bundestag», analyse-t-il. «Mais si un gouvernement doit toujours chercher de nouvelles majorités, cela favorise une meilleure culture du débat.» Un tel fonctionnement aiderait également les partis à mieux se démarquer les uns des autres. Libérée du contrat de coalition, chaque formation politique pourrait soutenir les mesures qui lui correspondent et combattre les autres.
Des experts appellent alors à tenter l’expérience, ne serait-ce que pour un an ou deux. Jöran Klatt, de l’Institut de recherche sur la démocratie de Göttingen voit même dans la chancelière la candidate idéale pour mener l’expérience. Dans la Süddeutsche Zeitung, il souligne ses talents de négociatrice et son ouverture au compromis: «S’il y a bien un personnage dans l’histoire allemande qui peut diriger un gouvernement minoritaire, c’est Angela Merkel.» Quoi qu’il arrive, la chancelière reste une référence incontournable.