En Allemagne, une nouvelle ligne de tension sur l’avortement

En 2015, les pro-IVG ont organisé en contre-manifestation pour empêcher les anti-IVG de défiler au centre de Berlin (ici à Unter der Linden). © Fabio Lo Verso / Septembre 2015

En 2015, les pro-IVG ont organisé en contre-manifestation pour empêcher les anti-IVG de défiler au centre de Berlin (ici à Unter der Linden). © Fabio Lo Verso / Septembre 2015

 

Une doctoresse vient d’être condamnée pour avoir affiché sur son site web qu’elle pratiquait l’interruption volontaire de grossesse. Dans ce pays, où l’avortement n’est dépénalisé que sous certaines conditions, la crispation monte d’un cran auprès du corps médical et des professionnels du planning familial.

 

Déborah Berlioz Correspondante à Berlin 11 décembre 2017

Le 24 novembre dernier, la doctoresse Kristina Hänel a été condamnée à 6’000 euros d’amende pour avoir déclaré sur son site web qu’elle pratique l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Elle y expliquait notamment la différence entre une procédure médicamenteuse ou chirurgicale, les risques, ou encore les effets secondaires. En Allemagne, ces renseignements tombent sous le coup du l’alinéa 219a du Code pénal, qui interdit toute «publicité» en faveur de l’avortement. Pour la juge qui a prononcé la sentence, «l’IVG ne doit pas être publiquement discuté comme s’il s’agissait d’une chose normale».

Sybille Schreiber, secrétaire générale du planning familial Profamilia Berlin, se dit atterrée devant cette formulation: «C’est aberrant.» Mais qu’elle va dans le sens de la loi, car en Allemagne, l’interruption de grossesse n’est pas légale. Elle n’est dépénalisée que sous certaines conditions. «La loi sur l’avortement se trouve dans le code pénal juste à côté de l’homicide volontaire», précise Sybille Schreiber. Une spécificité qui a des «des conséquences graves», notamment pour les médecins. L’avortement étant un délit, il n’est pas inscrit dans le cursus des futurs docteurs. «Mais surtout, l’IVG reste tabou, et les femmes le ressentent», déplore Sybille.

S'il est possible d’interrompre une grossesse durant les douze premières semaines, c’est à condition de se rendre à une consultation obligatoire au préalable. Or selon la loi, le but de ce rendez-vous est avant tout «la protection de la vie fœtale». Il doit donc encourager la femme à garder le bébé, tout en lui laissant un libre choix. «Certaines femmes sont vraiment incertaines et ont besoin de cette consultation, affirme la secrétaire générale Profamilia Berlin. Mais d’autres ont déjà pris leur décision et viennent uniquement pour avoir l’autorisation d’avorter.» Profamilia milite depuis longtemps pour la suppression du caractère obligatoire de cette consultation.

L’alinéa 219a, qui interdit de faire «la publicité» de l’avortement est la conséquence logique de la législation allemande en la matière. Pour Sybille Schreiber, cela va à l’encontre de «la liberté d’information des femmes». «À quel point veut-on rendre la vie difficile aux femmes qui veulent avorter?», fulmine cette féministe. Quand les femmes viennent nous voir, nous pouvons leur dire quels médecins pratiquent l’IVG, mais elles ne peuvent pas trouver cette information elle-même sur internet.» La loi existe depuis longtemps «mais à ma connaissance, c’est la première fois qu'une condamnation aussi dure est prononcée». En général, les procureurs abandonnent les charges quand le médecin retire l'information en question de son site internet. Mais Kristina Hänel a refusé, elle ne voulait pas donner raison aux anti-avortements. «C’est pour cela que la procédure est allée jusqu'au bout.»

La loi est également problématique pour le corps médical. «L’avortement est possible en Allemagne, il faut donc des médecins qui le pratiquent, argumente Sybille Schreiber. Mais ils doivent se cacher. Cela en décourage plus d’un et de moins en moins de médecins pratiquent les avortements en Allemagne.» Pour elle, le jugement contre Kristina Hänel aura au moins eu l’avantage de relancer le débat sur cette législation controversée. Le SPD, les Verts et Die Linke préparent actuellement des projets de loi pour la suppression de l’alinéa 219a. S’ils arrivent à obtenir un soutien chez les libéraux du FDP, ils pourraient parvenir à leurs fins. Pour leur part, les conservateurs refusent toute réforme. Elisabeth Winkelmeier-Becker, députée CDU, redoute des «publicités pour l’avortement similaires à ce que l’on peut voir pour des soins esthétiques dentaires». Selon elle, «certains pourraient annoncer par exemple que chez eux l’avortement n’est pas compliqué et se fait sans difficulté, cela minimiserait la gravité de cette intervention pour la femme, et encore plus pour le fœtus».

La réclame outrageuse n’est cependant pas à craindre car elle est interdite par l’ordre des médecins. Une suppression du paragraphe 219a serait un désavantage pour les opposants à l’avortement, qui l’utilisent de plus en plus pour porter plainte contre des docteurs. Entre 2010 et 2014, entre 2 et 14 informations judiciaires étaient ouvertes sur le sujet chaque année. On en recensait 27 en 2015, et 35 en 2016. Dernièrement, l’évêque de Limburg a été visé. Un site de l’évêché annonçait en effet que certains centres de la Diakonie effectuaient les consultations pré-avortement. Depuis quelques années, la vague anti-avortement monte en puissance en Allemagne. Depuis 2008, une «marche pour la vie» défile au centre de la capitale Berlin réclamant l’abolition du droit à l’interruption de grossesse mais aussi de l’union civile qui accorde aux couples homosexuels allemands des droits similaires à ceux du mariage, sauf en matière fiscale et d’adoption. Des revendications qui crispent la société allemande.

 
Manifestation anti-IVG sous protection policière. © Fabio Lo Verso / Berlin, septembre 2015

Manifestation anti-IVG sous protection policière. © Fabio Lo Verso / Berlin, septembre 2015