En Équateur, la crise présidentielle aggrave l’instabilité économique du pays

Palais présidentiel à Quito. © Charlotte Julie / Archives

Palais présidentiel à Quito. © Charlotte Julie / Archives

 

La succession houleuse entre l’ancien président, Rafael Correa, et l’actuel, Lenin Moreno, met en jeu une question de fond: comment maintenir l’État social bâti au cours de la dernière décennie alors que l’économie stagne? La politique du nouveau président est contestée dans ses propres rangs.

 

José Antonio Garcia Simon 20 novembre 2017

Coup de théâtre, le 31 octobre, le chef d’État équatorien, Lenin Moreno, élu il y a six mois, est évincé de la présidence de son parti, Alianza País. Le lendemain, nouveau coup de théâtre, un tribunal de Quito annule cette décision et confirme M. Moreno à la tête de la formation politique. C’est le dernier épisode des affrontements entre partisans de l’actuel président et de son prédécesseur, Rafael Correa. Un clivage qui montre l’étendue des divisions au sein du parti présidentiel depuis l’arrivée au pouvoir de Lenin Moreno, le 24 mai dernier.

Lenin Moreno. © DR

Lenin Moreno. © DR

À l’origine de ces dissensions, il y a la volonté affichée de ce dernier de prendre de la distance, et de tracer sa propre voie, par rapport à la gestion de l’ancien homme fort de l’État équatorien. Ainsi, pendant la campagne présidentielle, Lenin Moreno affirmait qu’il était le candidat du parti, Alianza País, et non de Rafael Correa. Pour justifier de telles prétentions, ses premiers jours au pouvoir ont été marqués par une série de gestes symboliques: des rencontres avec les leaders de l’opposition ou la restitution de l’immeuble qui abrite le siège de la Confédération de nationalités indigènes de l’Équateur, confisqué par le gouvernement précédent. Le but était d’envoyer un message de conciliation à l’opinion publique équatorienne.

D’autres décisions iraient également dans ce sens: la destitution, de fait, du vice-président, Jorge Glas, impliqué dans la vaste trame de corruption Odebrecht, qui secoue depuis des mois la scène politique latino-américaine. Ou encore l’annonce d’un plan d’austérité au sein de l’administration publique destiné à réduire les salaires des hauts fonctionnaires ou les fonds que l'État dépense en encarts publicitaires dans les médias. Ces mesures essayent de tracer une nouvelle feuille de route, où la transparence et la lutte contre la corruption jouent un rôle clé. Mais il est aussi question de se frayer une marge d’action en mettant sous tutelle les fidèles qui répondent encore à l’ex-dignitaire Rafael Correa. Ce n’est pas un hasard si Moreno a renvoyé les dirigeants des médias publics, considérés proches de Correa, et annoncé la tenue d’un référendum, l’an prochain, visant à supprimer une norme constitutionnelle introduite fin 2015 afin de permettre probablement le retour de Rafael Correa en 2021.

Rafael Correa. © DR

Rafael Correa. © DR

Transparence et conciliation sont les versants d’une stratégie visant à mettre fin à la forte polarisation qu’a connue la politique équatorienne au cours de la dernière décennie. Un virage qui est dénoncé comme une «trahison» par Rafael Correa qui vit à Bruxelles avec son épouse belge. «L’Équateur recule de vingt ans», déclarait-il récemment, de passage à Genève, au quotidien Le Courrier (lire ici son interview). La stratégie de Moreno répond à la situation économique que traverse l’Équateur. En effet, l’économie andine a été fortement frappée par la chute des exportations et la baisse du prix du pétrole, principale source de richesse du pays. Ce qui s’est traduit par une envolée de la dette publique. Le mois dernier, Moreno a annoncé un plan de relance, sans toucher au prix de l’essence, du gaz ou de l’électricité. En essayant de la sorte de ne pas porter préjudice aux couches les plus défavorisées, fidèle en cela à la politique économique de son parti. Le programme prévoit des forfaits fiscaux pour stimuler les PME, ainsi qu’une légère augmentation des impôts pour les grandes sociétés et pour les hauts revenus.
Cependant, le gouvernement équatorien sait qu’il joue une course contre la montre. Sans reprise rapide de l’économie et sans une remontée significative du cours du pétrole, il lui sera difficile de maintenir la politique de redistribution de la rente qui a caractérisé la gestion d’AP depuis son arrivée au pouvoir en 2007. Et qui a eu comme résultat une baisse de la pauvreté et un développement considérable des infrastructures, autoroutes, universités, hôpitaux, etc.

Si la situation ne s’améliore pas, les scenarii possibles ne sont guère enthousiasmants. Soit une restructuration de la dette nuisant à la capacité de l’État qui, grâce aux investissements publics, reste le principal moteur de l’économie. Car elle le forcerait à des coupes budgétaires qui fragiliseraient les programmes sociaux mis en place au cours de la dernière décennie. L’autre option serait une réforme fiscale destinée à augmenter la contribution des classes aisées. La première alternative risque de déclencher de forts conflits sociaux, la seconde entraînerait une recrudescence du bras de fer avec l’opposition. De là, la stratégie actuellement suivie par l’exécutif, dont l’objectif est de créer les conditions favorables à la négociation avec l’ensemble de la société. Comme le souligne le politologue équatorien Felipe Burbano dans le New York Times du 13 octobre dernier, le bon déroulement du mandat de Lenin Moreno dépendra de sa capacité à parvenir à des accords sans abandonner pour autant les politiques soutenues par son électorat «telles que la redistribution de la rente, l’autonomie de l’État face aux groupes de pouvoir et une politique sociale active». Une mission qui semble très ardue, la principale résistance à la politique de Lenin Moreno venant de ses propres rangs.