«Seules les sociétés civiles peuvent relancer le dialogue entre l’Europe et le monde arabe»

Miguel Moratinos lors de sa conférence à l'Université de Genève. © Charlotte Julie / 18 mai 2016

Miguel Moratinos lors de sa conférence à l'Université de Genève. © Charlotte Julie / 18 mai 2016

 

L’ancien ministre espagnol des Affaires étrangères, Miguel Moratinos, était hier à Genève pour lancer une initiative visant à remettre sur les rails les relations entre l’Europe et le monde arabe, après l’enlisement du Processus de Barcelone et de l’Union pour la Méditerranée.

 

Luisa Ballin 19 mai 2016

La société civile méditerranéenne doit jouer un rôle central sur l’échiquier politique européen et moyen-oriental. C’est la conclusion d’une équipe de chercheurs du Global Studies Institute de l’Université de Genève qui ont remis, hier, à Miguel Moratinos un rapport sur les préoccupations et les aspirations des peuples européens de la Méditerranée, du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Cet acte académique ouvre une phase de relance du dialogue entre les deux rives de la Méditerranée, dans laquelle l'ancien ministre espagnol des Affaires étrangères s'était fortement engagé dans le passé. «J'ai participé à la mise en route du Processus de Barcelone et de l'Union pour la Méditerranée» a-t-il évoqué, hier soir, lors d'une conférence publique à l'Université de Genève. Un événement qui marque le début d’un ambitieux projet associant les sociétés civiles euro-arabes à un Livre blanc pour une nouvelle solidarité et coopération euro-arabe. Une première mondiale qui place Genève au cœur de la démarche.
Pour que ce projet ne reste pas lettre morte, comme le furent le processus de Barcelone en 1995, et l’Union pour la Méditerranée en 2008, le Livre blanc, élaboré par une commission d’experts, servira de feuille de route, à l’image des travaux entrepris dans les années 1980 par la Commission Bruntland pour l'environnement et le développement, dont le rapport intitulé Our Common Future (Notre avenir à tous) a été la base de travail pour le Sommet de la Terre de 1992. «Ce Livre blanc de la société civile sur la coopération euro-arabe est destiné à devenir la pierre angulaire de la refondation des relations entre l'Europe et le monde arabe», analyse Alain Clerc, président de la Fondation pour la promotion du dialogue méditerranéen et euro-arabe (FDMEA), fondée à Genève en 2013 et à l'origine de ce mouvement.

À Genève, Miguel Moratinos, qui fut également ambassadeur d’Espagne en Israël, puis Envoyé spécial de l’Union européenne au Proche-Orient pour le processus de paix israélo-palestinien, n’a pas mâché ses mots pour fustiger les échecs des dirigeants européens et leur manque de vision, d’ambition, de cohésion, de réaction et de stratégie politique face à des problèmes majeurs comme la solution du conflit entre Israéliens et Palestiniens ou la question des migrants demandeurs d’asile qui frappent depuis deux ans aux portes des pays du Nord de la Méditerranée. Répondant à La Cité sur la façon dont les dirigeants politiques pourraient convaincre les sociétés civiles à adhérer au projet qu’il a présenté à l’Université de Genève, Miguel Moratinos explique que «les sociétés civiles sont indépendantes et, en ce sens, elles doivent être elles mêmes mues par leur propre dynamique. Ne demandez pas aux hommes politiques de convaincre les sociétés civiles, ce sont elles qui doivent convaincre les représentants politiques d’être à l’écoute, de les soutenir et de créer des mécanismes pour que les deux rives de la Méditerranée et du monde arabe puissent se réunir et débattre. Ces sociétés civiles doivent ensuite assumer des responsabilités si elles veulent faire partie du processus de décision. Parce que critiquer sans assumer de responsabilités, cela ne peut pas marcher».

Posture volontariste ou vœux pieux? De l’aveu même de l’ancien ministre espagnol, les dirigeants politiques ont échoué dans leur tentative de créer un véritable dialogue entre les pays du nord et du sud de la Méditerranée et en général avec le monde arabe. «Ce qu’il faut, c’est rassembler tous les acteurs, y compris les sociétés civiles, afin de pouvoir mener à terme le but de notre projet. Car les hommes politiques n’ont pas de vision et ne proposent rien pour l’instant.» Miguel Moratinos rappelle que le Conseil européen avait renvoyé aux calendes grecques la proposition d’Enrico Letta, alors premier ministre italien, qui demandait une réunion d’urgence sur la question des migrants demandeurs d’asile qui débarquaient en grand nombre sur la petite île de Lampedusa, au sud de la Sicile, après avoir traversé la Méditerranée sur des embarcations de fortune, au péril de leur vie. «Ce fut une erreur politique et ce n’est qu’une année et demie plus tard que l’on a commencé à discuter pour tenter de régler le problème. Si l’on avait débattu et essayé de trouver des solutions avant, nous n’en serions pas là. Les pays du Nord de l’Europe n’avaient pas la sensibilité nécessaire pour anticiper les conséquences de ce qui est arrivé parce qu’ils croyaient que ce problème n’allait pas les toucher, puisque les pays du sud de l’Europe étaient censés faire le gendarme face aux arrivées à nos frontières. Pour les pays du Nord, c’était à l’Espagne, à l’Italie et à la Grèce de prendre des mesures, sans toutefois être solidaires avec ces trois pays, alors que la notion de solidarité est inscrite dans les traités européens. Dans le Traité de Lisbonne, la solidarité est même la clause fondamentale.» Et Miguel Moratinos de conclure: «Lorsqu’il n’y a pas de solidarité, c’est tout l’édifice des principes de l’Union européenne qui s’effondre.»

Fondation pour la promotion du dialogue méditerranéen et euro-arabe (FDMEA): www.fdmea.org

 

 

 

PolitiqueLuisa Ballin