La fin des communes en France?

© Marc Chesneau / Archives

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Avec la baisse des dotations pour les communes et la réforme de la taxe d’habitation, l’État français a-t-il décidé de sacrifier les mairies sur l’autel de l’austérité? Échelon administratif le plus proche des habitants, elles sont vent debout. Les maires décrivent une impasse financière mettant en danger les municipalités.

 

Adeline Percept Correspondante à Paris 12 décembre 2017

«Je me sens pieds et poings liés, attaché à mon siège, et je ne sais pas où va l’avion, explique Frédéric Budan, maire de Vulbens à une trentaine de kilomètres de Genève. Il me reste juste à prier pour que le pilote ne s’écrase pas.» Le pilote, c’est Emmanuel Macron, qui a promis aux Français d’assainir les finances du pays. Parmi les mesures conçues pour réduire le train de vie étatique, la baisse des dotations pour les communes, le premier échelon administratif et le plus proche des habitants, s’annonce drastique. Les collectivités locales sont enjointes de faire 10 à 13 millions d’euros d’économie pendant le quinquennat. Bien plus que le montant évoqué lors de la campagne électorale. Cela représente un tiers du financement des mairies.
La grogne des maires est à son comble. Début octobre, l’un d’eux a symboliquement «recadré» le président de la République. Le maire de Grand-Failly, en Meurthe-et-Moselle, a coupé une partie de la photo officielle d’Emmanuel Macron affichée dans les locaux de la mairie, avec ce commentaire: «Un tiers de finances en moins, un tiers de photo en moins.» Le procédé est humoristique, mais le message très clair… Il est probablement parvenu aux oreilles du président de la République, qui a décidé de calmer les esprits, en déclarant, mi-novembre, que la baisse des dotations ne serait pas «brutale» en 2018 et que les territoires «les plus fragiles» ne seraient pas affectés.
 
Comment définir la «fragilité» d’une commune? Vu de Paris, Vulbens, à la frontière genevoise, semble une municipalité prospère. Du moins sur le papier. Quelque 1700 habitants, une population qui croît de 30% chaque année en raison de la proximité de Genève, véritable poumon économique de la région. Mais avec la réforme de la taxe d’habitation, le premier édile Frédéric Budan perdrait tout bonnement la moitié de ses contribuables. Il ne pourrait investir «dans rien du tout», se plaint-il. «J’ai des charges incompressibles: le personnel de la commune, les assurances des véhicules, etc. Je vais subir un effet ciseau: des dépenses supérieures aux revenus de la commune.» Pourtant, Frédéric Budan n’est pas parmi ceux qui ont la dent la plus dure vis-à-vis de Macron. Il se réjouissait même que cet esprit «brillant» parvienne aux plus hautes responsabilités. «Mais le sentiment que j’ai, c’est que plus personne ne veut des communes, confie-t-il. Pour s’en passer, on leur coupe les vivres, les laissant mourir. Sauf que l’échelon de la commune, c’est la base de la démocratie française. Les mairies connaissent la vie locale, ses fragilités, et les besoins des habitants

Les réformes promues par Emmanuel Macron ignorent la réalité du terrain. À Vulbens, comme dans la plupart des communes françaises, un tiers de sa population est fragilisée et a besoin d’aide: il y a les retraités qui vivent avec 900 euros par mois et les jeunes sans diplômes «perdus dans le système», explique Frédéric Budan. Des jeunes avec des diplômes qui ne valent plus grand chose sur le marché, tels que les masters en communication ou en tourisme: ils se retrouvent ainsi sans emploi. Ce tiers de la population dans le besoin pèse très lourd. Le maire les reçoit quotidiennement dans son bureau. Pour venir par exemple en aide aux jeunes, la mairie a récemment vendu à bas coût un terrain à un promoteur, qui a ensuite garanti l’accès à la propriété des appartements à cette population en difficulté dans 65 logements. «Cela a coûté un million d’euros à la mairie. C’est ce type d’opérations que je ne peux absolument plus faire, commente Frédéric Budan. Je crains in fine la réaction de la rue

Le maire de Vulbens a fait partie de la centaine de maires de Savoie et de Haute-Savoie qui ont manifesté, le 22 novembre dernier, dans le Hall du Congrès des maires de France. Objectif ce jour-là: dire tout fort leur désarroi vis-à-vis d’un pouvoir centralisé qui ne connaît pas «ce qui se passe en bas». Par exemple, s’étrangle Frédéric Budan, «je dois appliquer des lois qui sont faites pour des territoires situés au bord du littoral!» Le maire, qui travaille à Genève*, renchérit en invitant à prendre exemple sur le modèle helvétique: «En Suisse, quand une loi fédérale est promulguée, elle est ensuite adaptée dans chaque canton et dans toutes les communes, des entités à taille humaine qui donnent une liberté aux élus et collent à la réalité des citoyens sur le terrain. C’est ce qui nous manque en France. Et là, j’ai l’impression que le pouvoir français fait complètement l’inverse



* Frédéric Budan
directeur du Centre de maintien à domicile à Onex, une section de l'IMAD (Institution genevoise de maintien à domicile)