Le refuge doré d’un homme d’affaires nigérian en Suisse

Vue aérienne de la propriété acquise par l’homme d’affaires nigérian Kola Aluko dans la commune tessinoise de Montagnola. © Montage: Alberto Campi / 2017

Vue aérienne de la propriété acquise par l’homme d’affaires nigérian Kola Aluko dans la commune tessinoise de Montagnola. © Montage: Alberto Campi / 2017

 

Recherché pour corruption par la justice britannique, Kola Aluko a séjourné dans le pays de 2012 à 2016, avant de prendre la fuite. Entre Genève, Zoug et le Tessin, ce proche d’une ex-ministre du pétrole du Nigeria accumule un trésor occulte à l’aide de sociétés énergétiques offshore. Alerté par Londres, alors que l’homme se trouve encore en Suisse, le Parquet fédéral réclame un complément d’informations. Quelques mois plus tard, Kola Aluko disparaît dans la nature.

 

Federico Franchini Avril 2017

Quelle est l’origine des fonds utilisés pour acquérir, le 3 avril 2014, une discrète villa dans la paisible commune tessinoise de Montagnola? Selon nos informations, la transaction s’élève à plus de 20 millions de francs, comprenant la maison, un bosquet et un jardin, l’ensemble disposé sur une surface de 13 000 m2. Un prix de rachat qui dépasse largement la valeur de marché, estimée à près de 14 millions. C’est précisément à cette question à 20 millions de francs que le procureur genevois Jean-Bernard Schmid cherche actuellement à donner une réponse. En octobre 2016, suite à une requête d’entraide britannique, il saisit des comptes appartenant à des sociétés offshore dont le bénéficiaire économique est le Nigérian Kola Aluko. En 2012 déjà, deux avant le rachat de la villa de Montagnola, cet homme d’affaires, proche d’une ex-ministre nigériane du pétrole, avait choisi le canton italophone comme lieu de résidence.

Le nom de ce quadragénaire comptant parmi les hommes les plus riches d’Afrique fait son apparition en Suisse en octobre 2015, lorsque le Crown Prosecution Services (CPS, ou Service des poursuites judiciaires de la Couronne) transmet une demande d’assistance à Berne. L’affaire porte sur un cas de corruption internationale. Les autorités britanniques repèrent d’importants transferts d’argent au Nigeria pour le compte de sociétés basées au Royaume-Uni via des entités gérées en Suisse. L’Office fédéral de justice délègue l’exécution de l’entraide au Ministère public de la Confédération (MPC), qui réclame un complément d’informations à Londres. «N’ayant pas reçu les éléments requis, nous avons informé le CPS que nous considérions le dossier comme clos», nous avait déclaré à l’époque une porte-parole du MPC.

Un an plus tard, à la mi-octobre 2016, Londres décide de s’adresser au Parquet genevois: c’est dans la cité de Calvin qu’est abritée la majeure partie des fonds visés par le CPS. Le 27 octobre, le procureur Jean-Bernard Schmid entre en matière et ouvre aussitôt une procédure pénale, comme il nous l’a récemment confirmé. Mais Kola Aluko avait déjà pris le large. Au terme de l’habituelle salve de recours, tous rejetés par le Tribunal pénal fédéral, les informations saisies vont bientôt prendre la route du Royaume-Uni. Outre-Manche, l’affaire a éclaté en septembre 2015, lorsque la police de Londres a interrogé Diezaini Alison-Madueke, la ministre du pétrole du Nigeria dans le gouvernement de l’ancien président Goodluck Jonathan, entre 2010 et 2015. Selon les enquêteurs britanniques, Kola Aluko aurait été un allié de poids de celle qui, en 2014, était devenue la première femme présidente de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole. Sous le règne de Goodluck Jonathan, l’homme d’affaires amasse l’essentiel de sa fortune.

C’est en 2011 que se nouent les relations d’affaires les plus douteuses. Le gouvernement nigérian confie à des conditions très favorables, et sans appel d’offre, des concessions pétrolières à deux sociétés de Kola Aluko: Seven Energy et Atlantic Energy, cette dernière ayant été créée à la veille de la signature de ces accords. «De cette façon, les sommes que l’État devait encaisser ont fini dans les poches des particuliers (…). Ces accords sont anti-constituionnels et illégaux», dénonçait Sanusi Lamido, ex-gouverneur de la Banque centrale nigériane. En 2012, Kola Aluko s’installe en Suisse, où il a déjà posé des jalons. À Genève, il détient plusieurs comptes bancaires. Comme le révèlent les Panama Papers, dans la ville du bout du lac réside le gérant du patrimoine du Nigérian. À Zoug, il établit, en 2011, une filiale d’Atlantic Energy par l’entremise d’un homme de paille avec passeport britannique. La société, qui louait des bureaux dans un luxueux bâtiment de Zurich, a été placée en liquidation le 30 octobre 2015. Soit quelques jours après que les ennuis d’Aluko ont commencé, comme le rappelait, en janvier 2016, l’ONG suisse Public Eye (à l’époque Déclaration de Berne) dans un article publié dans son magazine.

Toujours à Zoug, Kola Aluko devient partenaire de la compagnie aérienne helvétique Vista Jet, considérée comme la plus grande flotte privée au monde, destinée à une clientèle de prestige et aux membres de gouvernements, dont le Nigeria. Dans le voisin Lichtenstein, il décide de domicilier la Kola Aluko Foundation «créée pour inspirer, conseiller et supporter la future génération des leaders africains»... Les affaires à Genève et à Zoug, la vie privée au Tessin où, à son arrivée en 2012, il loue à une famille suisse la charmante Villa Rezzonica, dans le village de Porza, près de Lugano. De jour comme de nuit, la propriété est surveillée par des gardes armés. Lorsqu’il se porte acquéreur d’une villa à Montagnola, en 2014, Kola Aluko mène grand train.

Dans son pays, l’homme tombe en disgrâce à l’automne 2015, lorsque Muhammadu Buhari, le nouveau président du Nigeria, décidé de faire le ménage dans le secteur pétrolier et de traquer les avoirs pillés sous l’administration Jonathan. Quelques mois plus tard, il perd les traces de Kola Aluko. Selon nos informations, il se terre actuellement à Accra, la capitale du Ghana, où il bénéficierait d’appuis politiques. En mai 2016, les autorités nigérianes entrent en jeu et requièrent le séquestre des biens de Kola Aluko. Dans les documents de la Haute Cour de Lagos, dont La Cité a obtenu une copie, on (re)découvre plusieurs relations bancaires ouvertes en Suisse, dont les comptes saisis à Genève. Les sommes ne laissent pas indifférent: 40 millions de dollars auprès de la Deutsche Bank et 25 millions à la LGT Bank. Mais seulement un million à la Corner Bank de Lugano... Selon Lagos, Kola Aluko aurait personnellement entériné des versements provenant de la vente de brut dans les comptes suisses d’Atlantic Energy auprès de LGT Bank et de BNP Paribas. Toujours selon les documents nigérians, Kola Aluko et ses complices ont livré très exactement 7’351’867 barils de pétrole brut à une filiale britannique de Glencore, géant mondial du négoce de matières premières basé à Zoug. En contrepartie, Glencore a versé 811 millions de dollars dans trois comptes séparés au nom d’Atlantic Energy, dont 83 millions à la Deutsche Bank de Genève sur le compte d’une filiale d’Atlantic Energy.

La Haute Cour de Lagos dresse aussi la liste détaillée des biens de l’homme d’affaires: le yacht Galactica, une collection de montres, trois avions, 58 voitures, des propriétés immobilières en Californie, à Manhattan, Londres et Dubaï. Ainsi qu’une propriété foncière en Suisse. Le nom du village où elle se situe n’est pas écrit correctement. Mais il s’agit du terrain de Montagnola, dont le titulaire est Monta Real Estate SA, société dotée d’un capital social d’un million de francs, domiciliée au Tessin auprès d’une société de révision et d’expertise comptable créée à Zoug en mars 2014, treize jours avant le rachat de la villa et de la parcelle de Montagnola. Monta Real Estate SA est présidée par Teniola Edu, une citoyenne irlandaise née au Nigeria, titulaire d’un permis B au Tessin valable jusqu’en 2020. Femme de l’autre seul membre de la société, Kola Aluko.

 

 
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