La Genève internationale, cent ans d’architecture de paix

Le Palais des Nations à Genève. © Luca Fascini / Archives

Le Palais des Nations à Genève. © Luca Fascini / Archives

 

Lorsque Genève fut choisie en 1920 pour accueillir le siège de la Société des Nations, les autorités genevoises durent organiser rapidement l’intendance manquante pour loger les fonctionnaires internationaux et leurs familles. Cent ans de vicissitudes plus tard, la journaliste Joëlle Kuntz retrace la naissance des bâtiments emblématiques de l’espace urbain appelé aujourd’hui Jardin des Nations, dans son livre Genève internationale 100 ans d’architecture, paru aux éditions Slatkine.

 

Luisa Ballin
4 janvier 2018

Les défis à relever n’ont pas manqué pour faire de Genève ce qu’elle est aujourd’hui: la capitale internationale du dialogue de paix et des droits humains. Et une ville d’architecture moderne, ce que l’on sait moins. Il y a un siècle, la cité du bout du lac ne possédait pas d’aéroport. Mais elle était dotée d’un opéra et de grands hôtels construits à la Belle époque pour séduire les voyageurs qui y séjournaient, enchantés par la vue du Mont-Blanc et les deux rives du lac Léman, chères aux Romantiques.

Lorsque Genève fut choisie en 1920 pour accueillir le siège de la Société des Nations, les autorités genevoises durent organiser rapidement l’intendance manquante pour loger les fonctionnaires internationaux et leurs familles. La négociation a régulièrement porté sur les surfaces concédées, toujours insuffisantes, la répartition des coûts des constructions, prévus ou imprévus, et les conditions d’hébergement de leurs usagers.

«Des institutions internationales redevables devant leurs membres répartis dans le monde entier demandaient satisfaction à des institutions politiques genevoises et suisses redevables devant leurs électeurs locaux», rappelle Joëlle Kuntz. Deux logiques politiques et administratives se faisaient face, dans l’entente ou le conflit, pouvant aller jusqu’au chantage, quand telle ou telle organisation mécontente menaçait de quitter la ville.

 
 

Atout majeur

«L’espace bâti du premier âge de la Genève internationale témoigne du passage à la fois prudent et rapide d’un siècle bourgeois tourné vers l’esthétisme, à un siècle que domineront les fonctions», peut-on lire dans l’ouvrage passionnant que la journaliste vient de publier aux éditions genevoise Slatkine. Immeubles et bureaux remplaceront alors villas de charme et hôtels particuliers.

Genève emporte la lutte au sein des instances dirigeantes de la Société des Nations (SdN), partagées entre la ville du bout du lac et Bruxelles. L’atout majeur des autorités genevoises et suisses? Un paysage incomparable. La Genève patricienne des parcs, des jardins et du tourisme fin de siècle aura gain de cause.

Richement documenté, avec des photos d’archives ou signées Luca Fascini, des croquis et des chiffres, ainsi que des anecdotes, controverses, visions d’architectes, intrigues en coulisse des concours internationaux ou querelles entre autorités et population soucieuse de la protection de l’environnement et du patrimoine, le livre de Joëlle Kuntz relate la naissance de bâtiments qui ont fait la réputation de Genève, tels que le Palais Wilson (devenu écrin du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme), le Palais des Nations, le Centre William Rappard (successivement siège du BIT, du HCR et de l’Organisation mondiale du commerce) ou les bâtiments ancien et nouveau du CICR.

 
L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), par © Luca Fascini / Archives

L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), par © Luca Fascini / Archives

 

Elle met en exergue la créativité d’une palette d’architectes nationaux et internationaux renommés, qui ont fait surgir les édifices contemporains de l’Organisation mondiale de la santé, de l’Organisation internationale du Travail, de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, du CERN, de la Maison de la Paix et de l’Organisation météorologique mondiale. Les prévisions météo étant de tout temps un enjeu dans les opérations militaires et, depuis le milieu des années 1990, le reflet des changements climatiques.

L’aventure de la Genève internationale n’a manqué ni de controverses architecturales, notamment autour de la construction du Palais des Nations, dont Le Corbusier — qui deviendra l’architecte les plus connu du XXe siècle — fut écarté. Ni de controverses urbanistiques à propos des logements et des voies de circulation autour de la place des Nations longtemps laissée en friche.

Le visionnaire Le Corbusier se plaignait d’ailleurs, en 1930, de l’improvisation des décisions publiques: «Le Palais des Nations est le premier bâtiment de travail dans lequel on s’occupera de gérer les affaires du monde.» L’incontournable Palais des Nations, attraction pour les dizaines de milliers de touristes qui le visitent chaque année, sera en rénovation jusqu’en 2023.  

 
L’Organisation mondiale du commerce (OMC) par © Luca Fascini / Archives

L’Organisation mondiale du commerce (OMC) par © Luca Fascini / Archives

 

À l’approche du centenaire de la Genève internationale, marqué par l’installation du BIT en 1919, Joëlle Kuntz note que «ces cent années genevoises disent une histoire du monde : des idées pour le maintien de la paix, des méthodes pour les appliquer et des organisations pour les pérenniser se sont concentrées en ce lieu comme si l’internationalisme avait eu besoin d’un port d’attache pour se répandre».

Joëlle Kuntz cite Franz Graf et Giulia Marino, du Laboratoire des techniques et de la sauvegarde de l’architecture moderne de l’EPFL qui, comparant la Genève internationale avec ce qui s’est fait ailleurs, jugent qu’elle offre «un aperçu saisissant de l’architecture administrative et représentative de qualité du second après-guerre». Et la journaliste de conclure: «Le domaine bâti du quartier international de Genève est aussi une peinture sociale du XXe siècle, qui se continue sous d’autres couleurs au XXIe siècle.»  

 

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