Racisme, préjugés et discrimination: au-delà des causes individuelles

 
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Depuis quelques années, nourris par la crispation autour des flux migratoires et par la multiplication des attentats terroristes, les propos discriminatoires et racistes s’accentuent. Le professeur Serge Guimond explique pourquoi certaines réactions dépendent, non pas de la personnalité des individus mais du contexte normatif dans lequel ils se trouvent. Changer ce contexte permettrait d’agir sur les préjugés.

 

Fabio Lo Verso Mai 2018

En 2016, Chris Crandal, psychologue social à l’Université du Kansas, a interrogé 200 supporteurs de Donald Trump et 200 de Hillary Clinton, avant et après l’élection qui a vu gagner, à la surprise quasi générale, le milliardaire newyorkais. Il voulait comprendre comment «se normalise» un discours truffé de préjugés et de propos discriminatoires.
    Souvenez-vous: le «candidat» Donald  Trump avait stigmatisé, à grands renforts de clichés, les musulmans, les immigrés et les Mexicains. Le chercheur a mesuré la perception que les fans du tycoon, et ceux de sa concurrente, avaient de ces groupes. Pour obtenir un résultat plus net, il a aussi mesuré la perception de groupes sur lesquels Trump ne s’était pas acharné: les vedettes de cinéma, les Canadiens, etc.
    Résultat, aucun changement d’attitude n’a été observé au regard des groupes non attaqués par Trump. «Mais pour les groupes que Trump avait dénigrés, les résultats ont montré un changement majeur», écrit le professeur Serge Guimond*, co-auteur avec Nolwenn Anier **, de Racismes, préjugés et discrimination: au-delà des causes individuelles, chapitre inaugural d’un ouvrage collectif paru en avril dernier ***. «Après les élections, les supporteurs de Trump comme ceux de Clinton estimaient qu’il était devenu acceptable pour la majorité des gens de tenir un discours de haine à l’égard de ces groupes», poursuit-il.
    Cette expérience troublante montre l’influence que peut avoir une croyance perçue comme collective. «Ce n’est donc pas la personnalité qui est en cause mais la norme collective perçue»: dans leur chapitre, Serge Guimond et Nolwenn Anier citent l’étude américaine pour montrer que les préjugés concernent des gens qu’on a placés dans une case, et cette case, c’est l’appartenance à un groupe ou à une catégorie sociale. La Cité a posé trois questions au professeur Serge Guimond.

Dans votre travail, vous affirmez, avec Nolwenn Anier, que pour comprendre les préjugés, il faut se référer à la psychologie des groupes, la psychologie de la personnalité ne suffisant pas. Pourquoi?
Serge Guimond: Dans une certaine psychologie, on prétend que la base fondamentale des préjugés se situe dans certains traits de personnalité des individus. Les personnes autoritaires, rigides et conservatrices, seraient évidemment «racistes». Mais nous? Jamais. En réalité, tout dépend du groupe dont il est question. La plupart des personnes autoritaires et conservatrices ont effectivement des préjugés contre les immigrés, les minorités ethniques ou raciales, les homosexuels ou les féministes.
    Mais si on examine qui a des préjugés contre les riches, les banquiers, les policiers ou les militaires, on trouvera très peu de personnalités autoritaires dans le lot. On repèrera plutôt plusieurs personnes de gauche dont le profil de personnalité ne correspond pas du tout à celui qui est prétendument à la base des préjugés. Qu’on soit de gauche ou de droite, nous avons tous des préjugés mais ces préjugés ne ciblent pas du tout les mêmes groupes.

Les préjugés présupposent-ils donc une construction sociale par des groupes?
Le genre, la nation, le groupe ethnique, le groupe racial sont des constructions sociales. Les biologistes nous disent que la race, ça n’existe pas. Pourtant, tout le monde pense le contraire. Il y a bien des blancs et des noirs dans ce monde? Oui, mais c’est une construction sociale. Suivant des critères arbitraires, on catégorise les gens comme blancs ou noirs, homme ou femme, européens ou immigrés.  Donc, le préjugé présuppose d’abord une construction de certaines catégories, il y a «nous» et il y a «eux». Pendant un certain temps, on a pensé que cette catégorisation «nous» et «eux» conduisait nécessairement à des préjugés. On sait maintenant que ce n’est pas le cas.

Pour quelle raison?
On peut avoir une société où on catégorise sur la plan ethnique plus qu’ailleurs et constater qu’il y a moins de préjugés anti-immigrés dans cette société. Ainsi, une recherche comparative a montré qu’il y a moins de préjugés anti-musulmans au Canada qu’en Allemagne parce qu’au Canada, il y a, depuis plus de quarante ans, une politique nationale de multiculturalisme alors qu’en Allemagne, il n’y en a jamais eu. Cette politique de multiculturalisme, contrairement à ce qu’on répète souvent en France et en Europe, est efficace pour lutter contre les préjugés ethniques. Ce qui va à l’encontre de l’idée selon laquelle le préjugé serait profondément ancré dans la personnalité des individus, c’est aussi le fait que le contexte social et politique agit sur l’expression des préjugés.
    Avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump aux États-Unis, on a vu les incidents à caractère raciste se multiplier. Suite à une campagne axée sur le rejet des immigrés et le contrôle des frontières, les mois qui ont suivi le vote favorable au Brexit, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, ont aussi été marqués par une augmentation des préjugés ethniques. Serait-ce que les Britanniques ont tous changé de personnalité au même moment? Comme nous le montrons, Nolwenn Anier et moi, l’explication réside plutôt dans le fait que ces événements politiques changent la perception des normes culturelles, c’est-à-dire la perception de ce que pensent les membres du groupe, et donnent une légitimité à l’expression des préjugés à l’encontre de certains groupes.
De façon analogue, plusieurs recherches ont montré que suite aux attaques de terroristes islamistes à New York et Washington en 2001, à Madrid en 2004 ou à Londres en 2005, les préjugés anti-musulmans se sont accentués. Une expérience en laboratoire menée au moment des attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher à Paris en janvier 2015 montre que ces réactions dépendent, non pas de la personnalité des individus mais du contexte normatif dans lequel ils ou elles se trouvent au moment des attentats. Le seul fait de placer au hasard certains participants à l’expérience dans un contexte où tout le monde adhère au principe d’égalité des citoyens, sans distinction d’origine ou de religion, a modifié diamétralement la réaction face aux attentats comparativement à un groupe témoin. C’est dire que l’activation d’une norme culturelle historiquement ancrée au sein d’un groupe est un moyen puissant de changer les préjugés.


* Serge Guimond est professeur à l’Université Clermont Auvergne et chercheur au laboratoire CNRS de psychologie sociale et cognitive à Clermont-ferrand. il a étudié et enseigné la psychologie sociale dans de nombreuses universités au Canada et en Europe. Ses travaux sur le multiculturalisme ont mérité le Gordon Allport Intergroup Relations Prize.

** Nolwenn Anier termine une thèse de doctorat à l’Université Clermont Suvergne. Ses travaux examinent l’influence des contextes socio-politiques et les relations intergroupes. Plus précisément, sa thèse vise à comprendre l’effet du contexte normatif créé par la politique de laïcité sur les perceptions et comportements intergroupes.

*** Psychologie de la discrimination et des préjugés. De la théorie à la pratique. Sous la direction de Klea Faniko, David Bourguignon, Oriane Sarrasin et Serge Guimond. De Boeck Supérieur, 2018.

 

 

 
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