Pierre Rabhi, le retour «vers la sobriété heureuse»

 

Ekatérina Soldatova
6 juin 2017

Après avoir vu son père forgeron contraint de travailler comme ouvrier dans les houillères en Algérie pour subvenir aux besoins de la famille, après avoir été lui-même ouvrier spécialisé dans une entreprise française, Pierre Rabhi a ressenti une frustration. Le fameux «progrès» rapide et efficace tant prôné par les Occidentaux, surtout durant les Trente Glorieuses, n’était en fait qu’une illusion dans laquelle l’homme s’est emprisonné. Le terme de «progrès» a-t-il bien été choisi?

Aujourd’hui, ne devrait-on pas appeler ce développement technologique «dégénérescence»? Pourtant, si l’industrialisation n’avait pas été mise au service de la finance, mais à celui de l’être humain et de la nature, le déséquilibre que l’on connaît aujourd’hui n’aurait peut-être pas eu lieu.

Pierre Rabhi n’est donc pas un rétrograde. L’écrivain et agriculteur pense au contraire que la technologie moderne peut être bénéfique, mais «selon l’évolution de la conscience qui en fait usage». Le problème se situe ainsi au niveau moral.

Le changement du mode de vie débute par celui du mode de pensée. Il s’agit de comprendre que l’ordre du monde «n’est pas une affaire de cerveau bien lubrifié et performant, mais de connexion à un ordre transcendant qui préexiste à notre avènement». L’auteur propose donc une reconnexion avec la nature qui est évidemment source de vie et non pas gisement de ressources à extraire sans limite.

Seulement, le principe artificiel dans lequel nous continuons de vivre qui est celui de la surconsommation semble ignorer cette évidence tout en ayant conscience de son existence.

Pierre Rabhi a alors décidé de se lancer dans l’agroécologie en préconisant l’autolimitation. Avec sa femme, Michèle Rabhi, il s’est extrait de la société pour s’installer dans un domaine des Cévennes ardéchoises. Le couple est parvenu tant bien que mal à concilier nécessités économiques et impératifs écologiques tout en suivant un mode de vie construit sur la modération sur presque tous les plans de la vie quotidienne. Ainsi, la sobriété consisterait à satisfaire uniquement les besoins vitaux. Au-delà, les besoins seraient superflus.

Il s’agit là d’une réelle émancipation du principe de possession inculqué par la société de production et de consommation. L’écrivain et expert en agroécologie nous prouve par son expérience qu’un mode de vie autre que celui qu’impose le capitalisme est encore possible.

Mais la frustration de ne pas pouvoir vivre en adéquation totale avec le principe de sobriété dans la société actuelle ne quitte pas pour autant l’auteur qui se déclare tout de même capitaliste. Pour cette raison, déjà lors de sa précampagne électorale à l’élection présidentielle de 2002, Pierre Rabhi faisait appel à la mobilisation collective.

Cette nécessité de renouer collectivement avec la nature pour retrouver un équilibre est d’ailleurs devenue aujourd’hui une urgence. Vers la sobriété heureuse de Pierre Rabhi est donc un mode de pensée et de vie qui est plus que jamais d’actualité.

 

 
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