Conseil de lecture à Nadine Morano

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Après sa désormais célèbre sortie sur la France, «pays judéo-chrétien de race blanche», l’eurodéputée française du Parti populaire européen (PPE) a promis de «dézinguer» Nicolas Sarkozy s’il lui venait à l’idée de se présenter à la prochaine présidentielle. Ambiance.

 

William Irigoyen
2 octobre 2015

Tout porte à croire que Nadine Morano ne sera pas investie tête de liste de son parti, Les Républicains, en Meurthe-et-Moselle, lors des prochaines élections régionales. La faute à qui? À elle-même et à sa désormais célèbre sortie sur la France, «pays judéo-chrétien de race blanche», référence, selon elle, à un discours de Charles de Gaulle. La meilleure défense étant l’attaque l’eurodéputée française du Parti populaire européen (PPE) a promis de «dézinguer» Nicolas Sarkozy s’il lui venait à l’idée de se présenter à la prochaine présidentielle. Ambiance.

On ne saurait trop conseiller à l’ancienne ministre, et ceci sans aucune malice, la lecture d’un ouvrage récent consacré aux soldats noirs durant la Seconde Guerre mondiale1. On y apprend qu’entre 1500 et 3000 d’entre eux auraient été victimes de massacres racistes perpétrés par la Wehrmacht et la Waffen-SS, selon les estimations de l’historien Raffael Scheck, professeur à Colby College (Maine, États-Unis). La République a donc été défendue par des hommes qui, pour reprendre les mots de Nadine Morano n’étaient ni «judéo-chrétien» ni de «race blanche», mais originaires des colonies et dont le destin était de facto lié à celui de la métropole.

Et cela commence dès 1914: «Depuis la Grande Guerre, l’image des tirailleurs sénégalais demeure fréquemment attachée à celle d’une « chair à canon », c’est-à-dire de soldats volontairement affectés aux missions les plus meurtrières pour épargner le sang des soldats français. Cette perception est apparue après le fiasco de l’offensive du Chemin des Dames, en avril 1917.» Les soldats noirs donnent tellement satisfaction qu’ils font ensuite «partie intégrante de la politique de défense, à tel point que la conscription est mise en place dans les colonies africaines dès 1919.»

En 1923 ce sont encore des soldats coloniaux que la République française envoie occuper la Rhénanie — il s’agit alors d’une des clauses du traité de Versailles —: parmi eux, il y a des Malgaches, des Marocains mais aussi un grand nombre de tirailleurs sénégalais. S’ensuit alors une vive campagne de propagande orchestrée par les milieux nationalistes allemands qui accusent notamment les occupants de viols (ce qu’on a appelé «La honte noire» ou «Dieschwarze Schande»). Le nazisme, quelques années plus tard, ne fera que développer l’«idée» selon laquelle le Noir est un barbare.

Les Noirs ne vont pas connaître le même sort «génocidaire» que les Juifs. Mais le livre nous apprend que, pour les nazis, le danger naît quand les premiers deviennent les «instruments» des seconds. D’où la «nécessité» de réaliser la Shoah. Le livre rappelle aussi que pour Alfred Rosenberg «qui s’était proclamé idéologue en chef du parti nazi, la mulâtrisation de la population française est tellement avancée qu’il n’y a à proprement parler plus de Blancs ou de Noirs en France: on peut seulement parler de «Nègres blancs ou Nègres noirs». La France entendait «africaniser» l’Europe et «mulâtriser» l’Allemagne: la victoire allemande a donc sauvé la culture européenne et prévenu une «irréparable contamination de la race.»

Soyons justes: Nadine Morano n’est pas allée jusqu’à prononcer de telles horreurs. Le suggérer serait lui intenter un nouveau procès. Mais il y a des propos qui peuvent choquer parce qu’ils font écho à des périodes effroyables. Les responsables politiques, s’ils ne sont pas historiens, seraient bien inspirés de tourner la langue dans leur bouche avant de parler. Ils pourraient aussi prendre le temps de lire des ouvrages comme celui-ci et s’inspirer de travaux sérieux avant d’émettre des propos outranciers pour «faire le buzz».

En choisissant de rebaptiser l’UMP «Les Républicains», Nicolas Sarkozy a peut-être voulu rendre son mouvement plus éthique. Va-t-il aller plus loin en excluant Nadine Morano de ses rangs au motif que la sortie de cette dernière ne serait pas en adéquation idéologique avec la ligne du parti? L’avenir le dira.

On ne cessera de répéter que les mots ont leur importance. Les pervertir s’avère dangereux et fait toujours le lit des extrémistes. Il y a quelques années émergeait en Allemagne un parti politique baptisé Die Republikaner. Son patron, Franz Schönhuber, un ancien Waffen-SS ne portait ni la démocratie ni la République dans son cœur.


Des soldats noirs face au Reich – Les massacres racistes de 1940,
Sous la direction de Johann Chapoutot – Jean Vigreux, PUF.