Le Kurdistan, comme un cri dans la gorge

 
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Luisa Ballin

26 septembre 2017 — Après les pays et les villes, la collection L’âme des peuples des éditions Nevicata fait la part belle aux régions, avec la parution de Kurdistan. Poussière et vent, récit de voyage signé Sophie Mousset, paru en mai 2017.

Le Kurdistan est d’abord un rêve, un idéal qui reste coincé dans la gorge, comme un cri. Les Kurdes vivent séparés, à cheval sur les frontières de quatre États (Turquie, Iran, Irak, Syrie) qui les ostracisent. Rêve aussi irréalisable que tenace, incarné par les «quatre perdrix sur le sommet d’une montagne enneigée symbolisant la patrie fragmentée», rappelle l’auteure, citant un ouvrage devenu film: Le Fusil de mon père.

«Les luttes pour l’indépendance du Kurdistan ne datent pas d’hier. Ce fantasme a la vie dure, il est coriace. La patrie «l’enragée, la fratrivore» forge l’âme kurde dans la résistance et la mémoire. Son identité est irréductible, dans la douleur comme dans la joie de vivre, grande comme ses montagnes. Plus le Kurde résiste, plus il se définit, et d’adversité il ne manque pas. Autant dire que les politiques de coercition, comme celle d’Erdogan, ne sont pas de bonnes stratégies pour les réduire», écrit Sophie Mousset, qui se rend au Kurdistan depuis une quinzaine d’années.

«La religion n’est pas une composante de l’identité kurde», rappelle Frédéric Tissot, médecin qui a effectué des missions humanitaires au Kurdistan. Terre de plusieurs religions, le Kurdistan compte en effet des sunnites de rite chaféite, des alévis (proches du chiisme), des Zaïch chiites, des Kurdes chrétiens et des juifs, dont nombre d’entre eux ont rejoint Israël lorsque Saddam Hussein a commencé à les persécuter. «Les relations des musulmans avec les Yézidis ne sont pas aussi bienveillantes qu’on pourrait le souhaiter, alors qu’avec les chrétiens et les juifs, les rapports sont cordiaux», précise Sophie Mousset. Les Yézidis, cible de la stratégie mortifère de Daech, étaient environ 600 000 à vivre au Kurdistan autonome d’Irak.

Le livre fait la part belle à des figures légendaires et rend hommage à Danielle Mitterrand, qui réussit à convaincre la France de saisir le Conseil de sécurité de l’ONU, une initiative qui débouchera sur la résolution 688 prévoyant la protection des populations civiles kurdes et leur retour dans une zone sécurisée par l’aviation alliée.  

Mais si l’image du Kurde résistant fait sa fierté, il est un tabou que les Kurdes évoquent moins volontiers: celui du joug que leur société exerce sur leurs femmes. Nazand Begikhani, directrice de recherche à l’Université de Bristol, l’affirme: «L’image de la femme kurde libre est un mythe.» Kurde et exilée, cette poétesse reconnue explique que la violence à l’égard des femmes est enracinée dans la mentalité patriarcale: «Au Kurdistan, l’honneur est considéré comme circonstance atténuante. Les femmes se sont battues pour la réforme juridique et l’annulation de cet article de la loi pénale au Kurdistan, mais c’est toujours dans les esprits. Pour l’homme, son honneur est centré sur le corps et la sexualité des femmes de sa famille (fille, sœur, mère, cousine, etc.). Elles sont considérées comme les gardiennes de l’honneur de la famille et de l’homme qui est le noyau de la famille.» Et la chercheuse de mentionner aussi la mutilation d’un organe sexuel féminin, le clitoris, pratiquée au Kurdistan d’Irak: «Si elle n’est pas pratiquée partout, cette pratique est répandue dans la région d’Erbil, Souleymanieh et Kirkouk, curieusement pas dans les endroits où il y a beaucoup de Turkmen ou d’Arabes

 
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