Au Texas, traite sexuelle, puritanisme et laissez-faire

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Le Texas a une attitude ambiguë vis-à-vis du commerce du sexe. La dénonciation de l’esclavage sexuel s’affiche partout. Mais les immigrés clandestins d’Amérique centrale et du Mexique figurent au premier rang des victimes de ce trafic d’êtres humains, en plein essor dans les plus grandes villes de ce vaste État américain. Reportage.

Mis en ligne le 3 mai 2014 à 9h35

[dropcap]C[/dropcap]’est le milieu de l’après-midi à Houston, l’heure à laquelle les enfants sortent de l’école. Tandis que la circulation s’intensifie sur la route de Westheimer qui rallie les beaux quartiers de l’ouest de l’agglomération depuis les bureaux du centreville, le parking du Key Club est déjà bien rempli. L’entrée de ce bar à strip-teases est gratuite avant la tombée du jour. «Avoir une réunion d’affaires au strip-club n’a rien d’inhabituel», atteste un natif de la région de Houston. Plusieurs établissements de ce secteur, desservi par deux autoroutes et le principal périphérique de la ville, proposent d’ailleurs des menus déjeuner. Bien du monde s’y retrouve, représentant, entre autres, l’industrie du pétrole, les services et même le secteur médical.

À grands renforts de dessous fluo et de secousses de seins et de fesses, Legends, Onyx, Priviledge, Treasure’s et leurs semblables se situent pourtant à mille lieux des traditions du cabaret et du music-hall. Mais l’absence de tout plan d’occupation des sols rend les «clubs de gentlemen», omniprésents à Houston. Parmi les habitués du Chicas Locas, figure un interne en médecine. Jeune marié, il estime ne pas faire d’infidélité à sa belle épouse tant qu’il ne touche pas. «Elle préfère me savoir ici plutôt qu’à regarder d’autres filles. Elle sait que j’aurais bien trop peur d’attraper une maladie vénérienne pour faire quoi que ce soit avec l’une de ces femmes», assure le jeune homme. Passée l’excitation des premières fois, un autre habitué dit venir de plus en plus rarement voir les strip-teaseuses. «Je ne vois pas bien l’intérêt d’être excité par toutes ces filles, si on n’a pas prévu d’aller plus loin.»

Pour ceux qui se sont lassés de glisser des billets dans le soutien-gorge ou derrière la ficelle du string des danseuses, tout en achetant des bières quatre fois le prix habituel, il est néanmoins aisé de trouver un peu d’intimité avec sa fille préférée. Pour une simple danse érotique sur une banquette à part prévue à cet effet. Voire plus, dans une pièce fermée.

Les chambres privées ont officiellement disparu des établissements les plus en vue depuis qu’ils se sont engagés à lutter contre la traite d’êtres humains aux côtés de la municipalité, en versant un million de dollars annuels à l’unité dédiée spécialement créée au sein de la police locale à l’automne dernier. Mais «une danseuse m’a confirmé que certaines filles allaient plus loin, même si elle, elle ne fait que danser», annonce notre jeune marié, qui a dans le passé envisagé de monter son propre strip-club avant de se tourner vers la médecine.

«Les strip-teaseuses ne sont pas salariées du club. Elles lui payent un ticket d’entrée chaque fois qu’elles viennent, puis doivent participer aux frais à chaque passage sur scène, chaque effeuillage, chaque danse érotique», détaille le jeune homme. Et si une fille n’a pas fait le plein de pourboires en dansant, elle peut avoir recours à la prostitution pour entrer dans ses frais. L’office du tourisme de Houston ne s’en vante pas. Mais la ville est connue pour son offre pléthorique. Car en plus des stripclubs disséminés dans l’agglomération, la section des escort-girls du site BackPage.com reçoit des centaines d’annonces chaque jour pour Houston. On dit que les livraisons de filles y sont plus rapides que celles de pizzas.

Au-delà de la demande des locaux, nombreux sont les visiteurs qui vérifient la réputation de la ville à l’occasion d’une convention d’affaires ou d’un évènement sportif. Puis font à nouveau passer le mot, nourrissant à leur tour la renommée de la première cité texane. L’État du Texas a beau être à la pointe des législations ciblant la traite de personnes et les autorités de la région de Houston s’être alliées aux associations d’aide aux victimes de trafic d’êtres humains, dès 2004, celui-ci reste difficile à contenir dans la région.

Houston est d’abord une agglomération en plein essor économique, en passe de devenir la troisième ville des États-Unis devant Chicago, derrière New York et Los Angeles. Et toutes les personnes se prostituant ne sont pas victimes de traite sexuelle. Mais «Houston reste une plaque tournante», confirme Constance Rossiter, responsable du programme d’assistance aux personnes auprès de YMCA (Union chrétienne des jeunes gens).

Reyna Torres, mexicaine, doit sa survie à une patrouille de police.

Reyna Torres, mexicaine, doit sa survie à une patrouille de police.

«Dans les strip-clubs, dans les bars, dans les salons de massage, mais aussi dans les restaurants, dans les salons de manucure ou au domicile des particuliers, par le biais du travail forcé, les victimes de trafic d’êtres humains peuvent être partout» dans une ville cosmopolite comme Houston. La ville arrive largement en tête des appels passés à la ligne dédiée du Centre national ressource sur le trafic d’êtres humains, devant Dallas-Fort Worth et San Antonio. Ni la position centrale de Houston ni son ouverture internationale ou la culture texane du laissez-faire, également un brin machiste, ne suffisent donc à expliquer sa domination. La clé, pour Constance Rossiter, c’est la proximité de la frontière entre les États-Unis et le Mexique. On n’a pas besoin de changer de pays pour tomber aux mains de trafiquants, mais «c’est le long des routes migratoires que survient la traite».

Et justement, celle du Sud du Texas est en plein essor. Alors que les entrées clandestines sur le territoire étasunien sont globalement en baisse, la région bat tous les records d’arrestations par la police des frontières, comme de découvertes de corps d’immigrés dans le désert. Le comté de Brooks — où se trouve le poste de frontière de Falfurrias (que les immigrés sans-papiers doivent contourner à pied) — en a retrouvé en 2012 (129 corps), plus du double par rapport aux années antérieures, et encore 87 l’année dernière. Même si les statistiques officielles ne décrivent pas la répartition géographique des 14 500 à 17 500 personnes «importées» chaque année aux États-Unis pour y être «vendues», il semble que la vallée du Rio Grande soit devenue la principale base arrière du trafic d’êtres humains dans la première démocratie du monde occidental.

[su_pullquote align="right"]IMPLICATION DES CARTELS MEXICAINS[/su_pullquote]

«Le cartel des Zetas est basé La Joya, [à l’ouest d’un cordon de villes texanes recensant plus d’un million d’habitants]. On a retrouvé de nombreux immigrés abandonnés à eux-mêmes ou bien tués dans ce secteur. Et quand les autorités investissent une cache, il n’est pas rare qu’elles y trouvent jusqu’à 70 ou 80 personnes attendant de pouvoir quitter la région», décrit Jennifer Bryson-Clark, qui étudie la question au South Texas College.

«Quand l’administration Calderón (2006- 2012: ndlr) a déclaré la guerre aux cartels au Mexique, ceux-ci ont étendu leurs activités au-delà du trafic de drogues», explique cette professeure de science politique. «L’immigration clandestine en particulier leur a semblé plus lucrative, car il y a moins de risques de se faire prendre en faisant entrer illégalement dans le pays des personnes que de la drogue, et les peines sont moins lourdes.»

L’implication des cartels de drogue mexicains dans les filières d’immigration clandestines ne nourrit pas automatiquement la traite de personnes. «Il faut distinguer les deux, confirme Laurie Cook-Heffron, qui étudie la traite sexuelle à l’Institut sur les violences familiales et les agressions sexuelles de l’université du Texas. Mais on peut glisser de l’immigration clandestine à la traite de différentes façons, parfois avant même de quitter sa ville natale. Les réseaux s’appuient sur des recruteurs qui repèrent les personnes prêtes à émigrer, souvent dans l’espoir de pouvoir offrir une vie meilleure à leurs enfants, et leur font miroiter un emploi aux États-Unis.»

«Dans d’autres cas, les personnes sont déjà dans le pays et entrent en contact avec un trafiquant en cherchant un travail» — qui est forcément au noir du fait de l’absence de papiers. «Et comme à l’intérieur des Etats-Unis, un proxénète peut entrer dans une relation pseudo- romantique avec sa victime, qui ne se rend compte qu’à l’arrivée que son prince charmant a déjà d’autres femmes.»

Marta Sanchez de l’association «LUPE» d’aide aux immigrés (La union del pueblo entero).

Marta Sanchez de l’association «LUPE» d’aide aux immigrés (La union del pueblo entero).

Pour les organisations criminelles, les occasions d’attirer les sans-papiers dans leurs filets sont multiples, car la route migratoire n’est pas continue. «Il semble qu’elle soit constituée d’étapes successives, explique Jennifer Bryson- Clark. Un immigré du Honduras, du Guatemala ou du Sud du Mexique paye d’abord un passeur pour qu’il l’emmène vers une destination proche de la frontière comme Monterrey [capitale de l’État mexicain du Nuevo León]. Puis pour être emmené jusqu’à la frontière. Et doit encore payer pour traverser.»

Les immigrés clandestins sont particulièrement vulnérables quand ils séjournent dans les communautés frontalières placées sous le contrôle des cartels de drogue mexicains. Elle avait beau avoir passé la frontière avec succès et vécu des années clandestinement, dans l’État de Washington, sur la côte Ouest des États-Unis, Reyna Torres est l’une de ces personnes «tombées aux mains de la délinquance ». Elle pensait pouvoir prétendre au regroupement familial après avoir laissé son plus jeune fils né aux États-Unis, mais s’est trouvée fort dépourvue quand les douaniers lui ont refusé l’entrée sur le territoire étasunien. «Je logeais à la Maison du migrant de Reynosa (ville frontalière de l’État mexicain de Tamaulipas) en attendant de pouvoir traverser le Rio Grande quand on m’a abordée pour me proposer de l’aide. Ils avaient remarqué mon accent et ont supputé qu’ils pourraient demander de l’argent à ma famille, alors ils m’ont emmené dans une cache et commencé à me menacer.»

La Mexicaine se retrouve incarcérée avec des gens de différents pays, des compatriotes, des Guatémaltèques, des Honduriennes, mais aussi des Cubaines, des Nicaraguayennes, des Costariciennes... «Il y avait des femmes enceintes et des enfants. Nos geôliers nous filmaient pour envoyer les vidéos à nos familles. Ma fille leur a donné tout ce qu’elle avait. Elle a failli perdre l’enfant qu’elle portait tellement elle se faisait de souci pour moi. Mais ils voulaient toujours plus d’argent, alors je me suis échappée», détaille-t-elle. «Avec un groupe, nous avons trouvé refuge dans un magasin proche du lieu où nous étions retenues. Mais nos kidnappeurs nous ont reprises. Et en représailles, ils m’ont abandonnée au bord d’un canal, dans un quartier dangereux où l’on tue les femmes. Ils voulaient me faire disparaître. J’ai eu de la chance qu’une patrouille de police me retrouve avant que quelqu’un vienne en finir avec moi.»

Si elle a eu la vie sauve, Reyna Torres n’a pas pris le risque de faire de nouveau appel aux passeurs pour contourner le poste de frontière de Falfurrias et n’a jamais pris ses petitsenfants, nés dans l’État de Washington, dans ses bras. Elle travaille comme aide-soignante du côté étasunien de la vallée du Rio Grande et tente de faire valoir ses droits à la citoyenneté et à des aides sociales avec l’aide de l’association d’aide aux immigrés, La Unión del Pueblo Entero (Lupe). Au siège de cette organisation fondée par le leader syndical immigré César Chávez en 1989, on a l’habitude d’accueillir les sans-papiers. «Notre réseau installé de longue date nous redirige la plupart des nouveaux arrivés qui ont été abandonnés par les passeurs, car ils savent qu’on leur trouvera un hébergement sûr et qu’ils ont moins de risques d’être renvoyés au pays s’ils peuvent montrer la carte de membre de Lupe», témoigne Marta Sanchez, responsable de l’animation de cette association revendiquant quelque 7000 adhérents.

Faisant souvent face à des situations de détresse, Lupe sait reconnaître les personnes privées de liberté. «Il y a quelques mois, un de nos responsables nous a signalé deux travailleuses domestiques retenues au domicile d’un particulier. La fois précédente, c’était une mère et son fils qui étaient séquestrés dans un restaurant», égrène Marta Sanchez.

[su_pullquote align="right"]DES RENVOIS TROP RAPIDES[/su_pullquote]

Mais face à des victimes de trafic d’êtres humains, même un groupe proche des immigrés comme Lupe est désemparé. «Ces personnes ont traversé tellement d’épreuves, que lorsque nous entrons en contact avec elles, elles ne veulent pas entendre parler de procédure judiciaire contre leurs tortionnaires. Elles ne veulent pas revivre tout ce qu’on leur a fait subir en témoignant. Elles craignent qu’on ne les croie pas parce qu’elles sont étrangères», détaille la responsable associative. «Généralement, elles nous supplient de les aider à rentrer dans leur pays d’origine et c’est ainsi que nous leur venons en aide.»

Rosalba Pérez (à gauche) a été assignée par son patron à un travail de nuit et a été forcée à des actes sexuels. elle a osé porter plainte mais a perdu au pénal. elle entame aujourd’hui une procédure civile.

Rosalba Pérez (à gauche) a été assignée par son patron à un travail de nuit et a été forcée à des actes sexuels. elle a osé porter plainte mais a perdu au pénal. elle entame aujourd’hui une procédure civile.

Même si «la police des frontières a désormais le devoir d’identifier et protéger les mineurs victimes de traite», le problème vient aussi «des renvois rapides» dans leur pays d’origine des autres victimes, signale Anne Chandler, la directrice du centre d’aide légale aux femmes immigrées victimes de violence Tahirih Justice Center. «Si elles traversent de nouveau la frontière illégalement après cela, les victimes sont considérées comme des criminelles. » Alors, elles préfèrent parfois ne pas porter plainte. Par ailleurs, «il n’y a pas de foyer d’hébergement pour les victimes de trafic d’êtres humains au Texas», signale Anne Chandler. Du moins pas pour les victimes étrangères.

Freedom Place s’enorgueillit d’être le premier foyer pour victimes américaines mineures de traite sexuelle du Texas. «Il a ouvert il y a deux ans dans un ancien centre de vacances et les jeunes filles traumatisées que nous y accueillons bénéficient de soins constants, en particulier par le biais d’activités équestres, puisque le centre comprend des chevaux, en plus d’un lac, d’une tyrolienne et d’une piscine », énumère Emily Waters, la responsable du développement de ce ministère chrétien faisant partie du réseau de fournisseurs de services sociaux Arrow Child and Family Ministries.

«Il y a plus d’enfants que d’adultes parmi les victimes de traite sexuelle», note Constance Rossiter à la tête du programme d’aide aux personnes trafiquées de YMCA, qui a établi que l’âge moyen d’entrée dans la prostitution forcée se situait vers l’âge de treize ans. Des structures dédiées aux mineurs semblent donc adaptées. «Mais les chiffres sont influencés par l’attention portée aux enfants et notre obsession pour le sexe», prévient la créatrice, en 2003, du premier programme d’aide aux victimes de trafic d’êtres humains de Houston.

Porté par la volonté de «purifier la ville», le groupe de prière Elijah Rising témoigne de cette aversion pour toute débauche charnelle. «Un quart des femmes chrétiennes avouent une addiction à la pornographie», lance Megan Sandy, lors d’une des six à huit tournées en minibus des strip-clubs de Houston, organisées chaque semaine au départ d’un ancien bordel investi par ce mouvement baptiste afin d’éduquer «des guerriers justiciers mettant fin au trafic d’êtres humains par la prière, la sensibilisation et l’intervention».

[su_pullquote align="right"]FORMATION POUR LES FORCES DE L’ORDRE[/su_pullquote]

«Une fois que l’on sait, il est difficile de ne rien faire», estime la jeune femme en interpellant les huit membres d’une église de la région de Houston participant ce soir-là à la visite guidée des quartiers chauds de la ville. Megan Sandy les invite à rejoindre leurs cercles de prières pour trois cents maisons closes prises sous leur aile dans le cadre de la campagne «Adopte un bordel» lancée par Elijah Rising. «Si nous montrons de l’affection aux prostituées en leur rendant visite régulièrement, en leur offrant le café ou de petits cadeaux, elles sauront qu’elles peuvent nous demander de l’aide le jour où elles veulent s’enfuir.» «Et si vous avez aussi un coeur pour les hommes, vous pouvez aussi prier pour eux, suggère la jeune Texane, car ils sont aussi prisonniers que les femmes qui se prostituent.» Un constat presque aussi navrant, pour Megan Sandy, que les avortements immanquablement générés par le commerce des corps, car «le père est le leader de la famille».

Pour lutter contre les idées reçues, la Coalition pour le secours et le rétablissement des victimes de traite de Houston organise des formations pour les forces de l’ordre, les personnels de santé comme les associations. Mais en dépit des statistiques, Megan Sandy en est persuadée: «La traite sexuelle est un plus gros problème que le travail forcé.» «Même si un collègue ou un voisin peuvent nourrir la demande d’esclaves sexuels en étant clients de trafiquants, il est plus facile d’être opposé à la traite sexuelle qu’au travail de personnes exploitées sur les chantiers, dans les chambres d’enfants, dans les espaces verts, dans les services de nettoyage, etc.», estime Maria Trujillo, la directrice de la Rescue and Restore Coalition. «C’est un phénomène plus facile à aborder, mais on ne peut plus facilement se dire qu’on ne participe pas du problème. Il est frappant de constater que les cantinas, où les femmes latino- américaines tiennent compagnie à leurs clients jusqu’à ce qu’ils aient dépensé suffisamment d’argent pour les suivre dans une chambre, n’existent pas dans d’autres villes.»

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Au Texas, on a gardé les réflexes d’un pays «construit par des esclaves. On se dit que ces travailleurs sont clandestins de toute façon. Qu’au moins, ils sont mieux ici qu’à la maison. Qu’ils se sont volontairement mis dans cette situation afin d’obtenir un visa et on ne perçoit pas la diversité du problème». Ni l’ampleur des besoins des immigrés d’Amérique Centrale et du Mexique. Les récits de travailleuses domestiques comme Karina Girón, qui a travaillé comme nourrice de l’aube jusque tard dans la nuit, en dormant dans la chambre des enfants, sans être autorisée à utiliser la vaisselle de la famille, sont légion. Et ces femmes sont particulièrement exposées aux violences qui entrent dans la définition de la traite sexuelle. Mais les travailleuses sans-papiers ne correspondent pas à l’image d’Épinal de la victime d’une telle traite. Et la seule association d’aide aux travailleurs immigrés de Houston vient tout juste de créer un groupe d’employées de maison.

Même si elle travaillait dans un atelier agro-alimentaire et non chez des particuliers, Rosalba Pérez l’a rejoint l’année dernière, peu après avoir réalisé sa condition de victime. «J’ai accompagné mon fils cadet chez le psychologue après qu’il a été agressé sexuellement par un adolescent vivant dans notre complexe d’appartements l’été dernier. C’est là que j’ai pu raconter ce qu’il se passait au travail, la façon dont mon chef m’a harcelée depuis le début de mon contrat, il y a quatre ans, ses insultes, ses menaces, les licenciements des collègues qui ne se pliaient pas à sa volonté, mon assignation à un travail de nuit dans le cadre duquel il s’arrangeait pour être seul avec moi, jusqu’à ce qu’il m’oblige à lui faire des fellations.»

Son mari ayant été renvoyé au Mexique, Rosalba avait trois enfants à charge depuis 2009. «Je n’arrivais plus à joindre les deux bouts avant de décrocher cet emploi. Je ne savais pas quoi faire face à cette situation. Je me suis rendue malade. On m’a hospitalisée et prescrit onze jours de repos, mais je n’ai pu en prendre qu’un. Après quoi mon harceleur m’a traitée d’idiote, de braillarde, il a critiqué le fait que je ne me maquillais jamais. Jusqu’à ce que je dépose finalement plainte, plus d’un an après les faits, et que mon employeur m’utilise pour se débarrasser de ce collaborateur devenu gênant sans rien lui verser, tout en me licenciant.»

«Détruite moralement», Rosalba raconte son histoire en pleurant: «Je suis sortie très humiliée de cette affaire, anémiée et incapable de travailler à nouveau. Je ne comprends pas pourquoi j’ai perdu la procédure pénale. Mais je travaille maintenant avec un avocat pour porter l’affaire devant un tribunal civil et même si je tremble chaque fois que je vois ne voiture qui ressemble à celle de mon agresseur, je vais les poursuivre, lui et ses complices, jusqu’à ce qu’on l’enferme. Je n’ai pas peur d’exposer mon cas du moment que ça peut en aider d’autres.»

Le shérif de Houston, Adrian Garcia, d’origine hispanique, espère «que l’appartenance ethnique n’influence pas l’attention portée aux différentes composantes du trafic d’êtres humains» et se félicite de la sensibilisation du public au sujet. Mais pour Maria Trujillo, la directrice de la Restore and Rescue Coalition, «la traite fait partie d’un spectre d’exploitation et que tout peut mener à une situation d’esclavage, qu’il soit sexuel ou non».

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