Un verdict exemplaire contre la mafia prononcé à Bellinzone

Le Tribunal pénal fédéral à Bellinzone. © Charlotte Julie / Archives

Le Tribunal pénal fédéral à Bellinzone. © Charlotte Julie / Archives

 

Le 29 décembre, le Tribunal pénal fédéral de Bellinzone a condamné «l’homme de confiance» d’un clan de la ’ndrangheta au Tessin. Pour la première fois, au niveau de la justice fédérale, un membre de la criminalité organisée écope d’une peine de prison.

Federico Franchini 9 janvier 2018

Le troisième procès intenté contre des membres de la mafia en Suisse aura enfin accouché d’une condamnation digne de ce nom. A moins de 48 heures du réveillon du Nouvel An, le Tribunal pénal fédéral (TPF) de Bellinzone a émis un verdict sévère à l’encontre de Franco Longo, accusé d’être «l’homme de confiance» au Tessin d’un clan de la ’ndrangheta et d’avoir blanchi de l’argent pour le compte de ce dernier. L’homme écope d’une peine de réclusion de cinq ans et demi. Une première en Suisse. Les deux précédents procès pour «participation à une organisation criminelle» se sont soldés par des peines quasi insignifiantes (lire encadré à la fin de l'article).
À Bellinzone, le Ministère public de la Confédération (MPC) a repris des couleurs. Il y a deux ans, il avait failli perdre aussi ce troisième procès. Et ce malgré les aveux complets et circonstanciés de Franco Longo, intarissable sur son appartenance à un clan de la ’ndrangheta et sur ses activités au Tessin. L’accusation et la défense s’étaient alors entendus pour réclamer une «procédure accélérée», avec à la clé une peine de quatre ans de réclusion. En Italie, l’homme risquait au moins dix ans d’enfermement. À la surprise générale, les juges du TPF avaient refusé d’entériner cette démarche et demandé que le MPC mène «une enquête plus approfondie». Un désaveu cinglant pour les procureurs fédéraux chargés de la procédure qui ont, dès lors, patiemment remis l’ouvrage sur le métier, en élargissant et en renforçant leurs investigations.

C’est ainsi qu’avec le mafieux Franco Longo, les enquêteurs ont conduit à la barre un deuxième homme, Oliver Camponovo, ancien conseiller municipal à Chiasso, titulaire à l’époque des faits d’une fiduciaire au Tessin. Accusé de blanchiment aggravé et faux dans les titres, il écope de trois ans de prison avec sursis partiel et 180 jours-amende à 300 francs. Dans un long réquisitoire, le procureur fédéral Stefano Herold avait lourdement chargé les deux comparses, en rappelant que le clan de la ’ndrangheta auquel Franco Longo était affilié avait fait usage d’une rare violence en Lombardie, où il était actif depuis les années 1980. De cette région limitrophe du Tessin, ce clan sanguinaire gérait un trafic international de stupéfiants. Avec la complicité de Franco Longo et la complicité d’Oliver Camponovo, des millions d’euros provenant de ce marché criminel ont été blanchis en Suisse.

Avec Longo et Camponovo, trois émissaires issus directement de la ’ndrangheta avaient aussi pour mission de faire tourner la lessiveuse: les frères Martino. C’est dans les années 1990 qu’ils ont fait leur apparition au Tessin, en ouvrant un compte numéroté auprès d’une banque tessinoise au nom de la femme de l’un d’entre eux. Mais, en pleine turbulence financière, menacé de faillite, cet institut s’est vu obligé de modifier sa raison sociale. Durant cette phase agitée, les trois frères alternaient, eux, les séjours en prison. Résultat, le compte échappe à leur contrôle. Franco Longo est alors chargé de le retrouver. Il demande assistance à Olivier Camponovo, avec lequel il entretient depuis quelques temps une fructueuse relation d’affaires. Dès que Longo parvient à remettre la main sur le compte, Camponovo s’active aussitôt pour blanchir son contenu. Du Tessin aux Bahamas, en passant par Dubaï, le pactole revient ensuite en Suisse. Il s’agit de 1,5 million de francs, qui, une fois rapatriés, seront utilisés pour acquérir un immeuble de 3,3 millions à Chiasso (photo ci-dessous): 50% de la propriété ira à la famille Martino, 40% à Longo, 10% à Camponovo. Pour le MPC, en sa qualité d’intermédiaire financier, ce dernier avait l’obligation de «vérifier» sa relation d’affaires. Le fait que la titulaire du compte, femme de l’un des membres du clan mafieux, n’avait pas de casier judiciaire, ne l’exemptait pas de ce devoir.
Pour sa part, le Tessinois conteste les faits qui lui sont reprochés. Selon son avocat, rien n’était de nature à éveiller ses soupçons et à lui indiquer que l’argent était d’origine criminelle. Quant à la gestion du compte, lors du procès, Camponovo a déclaré s’être borné à faire ce que tous les opérateurs financiers tessinois commettaient à l’époque: transférer des sommes vers les Bahamas, en passant par Dubaï. Une pratique courante, au bénéfice essentiellement d’une clientèle italienne.

L’immeuble de Chiasso acquis avec l'argent de la drogue. © Alberto Campi / Archives

L’immeuble de Chiasso acquis avec l'argent de la drogue. © Alberto Campi / Archives


Les procès précédents

En Suisse, où l’infiltration mafieuse n’est plus à démontrer, le Parquet fédéral a mené à ce jour une vingtaine de procédures. Déclenchées pour la plupart par des requêtes de la justice italienne, elles ont permis d’effectuer des arrestations, des extraditions et mêmes des confiscations de biens. En revanche, les procès contre des représentants de la mafia ne se comptent même pas sur les doigts d’une main. Ils sont trois, y compris celui qui vient d’avoir lieu à Bellinzone (ci-dessus), s’achevant sur des peines dignes de ce nom. Le bilan des deux premiers, les procès «Quatur» et «Montecristo», est plutôt mince.

Le procès «Quatur»

Quatorze ans après l’ouverture de l’enquête contre treize personnes soupçonnées d’appartenir à la mafia calabraise ’ndrangheta, le procès dit «Quatur» (nom donné à un trafic d’armes et de drogues sur l’axe Zurich-Tessin-Italie) s’est conclu en 2016 avec des peines légères devant le Tribunal pénal fédéral (TPF). Le chef présumé de l’organisation en Suisse ayant été définitivement acquitté par un tribunal italien fin 2014, le Ministère public de la Confédération (MPC) a abandonné l’accusation de participation à une organisation criminelle. Le TPF a pour sa part laissé tomber le chef d’inculpation de blanchiment d’argent et d’usure. Deux des accusés ont ainsi été acquittés, dont le principal suspect. Deux autres ont été condamnés à neuf mois avec sursis pour infraction à la Loi sur les stupéfiants, un troisième à 120 jours-amendes avec sursis pour faux dans les titres. En 2015, trois autres prévenus avaient écopé de peines similaires de sept, huit et neuf mois avec sursis pour trafic de cocaïne. Contre les autres accusés, les charges ont purement et simplement été abandonnées.

Le Procès «Montecristo»

C’est le premier procès contre des organisations mafieuses en Suisse, plus connu sous le nom de «le procès de la mafia des cigarettes». En 2012, le TPF acquitte sept des neuf accusés et condamne les deux autres à des peines avec sursis ou sursis partiel. Dans ces deux cas seulement, le chef d’accusation de soutien à organisation criminelle a été avéré. Les deux hommes ont toutefois été acquittés de l’accusation de blanchiment d’argent. Ce procès a connu bien des rebondissements. En 2009, le Tribunal fédéral avait cassé le premier jugement contre lequel le MPC avait fait recours. Les accusés, huit hommes et une femme, étaient poursuivis pour participation ou soutien à une organisation criminelle, ainsi que pour blanchiment d’argent dans le cadre d’un trafic de cigarettes de contrebande vers l’Italie via le Monténégro.
Selon le MPC, ce juteux marché était contrôlé conjointement par la camorra napolitaine et par la sacra corona unita, la mafia des Pouilles. L’argent était blanchi en Suisse. Pour le Parquet fédéral, il s’agissait de «l’affaire de criminalité organisée la plus importante découverte en Suisse». Contre la décision du TPF de 2012, le MPC dépose un nouveau recours. En 2013, celui-ci est rejeté mettant un point final au procès «Montecristo». Pour le Parquet fédéral, c’est un échec retentissant, le dernier exemple des difficultés de la justice helvétique à aboutir à des condamnations en matière de mafia.

 
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