«Débordements», le ballon rond côté sombre

 

Corruption dans les instances dirigeantes de la FIFA, joueurs peu scrupuleux alimentant la rubrique «faits divers» des journaux... : le football est un monde où les débordements sont fréquents. Un essai liste quelques cas d'individus sans foi ni loi évoluant dans ce sport. Mais à côté des canards boiteux il y a aussi des types bien.

 

William Irigoyen
12 juillet 2016

Ite, missa footballum est. La messe footballistique est donc dite depuis dimanche 10 juillet: le Portugal est champion d'Europe 2016. Le pays est en liesse, à écouter ou lire les récits pseudo-journalistiques qui sont faits de la finale avec la France. Les supporters de la Seleção das Quinas sont sur un petit nuage, les fans des Tricolores, eux, ne s'en remettent pas. Les premiers expliqueront ad vitam aeternam qu'ils méritaient de gagner et les seconds qu'ils étaient pourtant meilleurs. Personne n'y changera rien: la loi du sport est dure, mais c'est la loi. Une question invite à  un autre débat: qui sur le Vieux Continent — voire dans le monde — incarne le mieux les valeurs du football et mène une vie en accord avec ses principes?

À lire Débordements. Sombres histoires de football 1938-2016, l'essai signé Olivier Villepreux, Samy Mouhoubi et Frédéric Bernard, il est permis de prendre son temps avant de répondre. La maison football abrite en effet quelques individus dont le comportement est assez difficilement compatible avec les valeurs supposées de ce sport: le collectif, l'unité, le respect, la tolérance, la probité... Les auteurs (un auteur-traducteur-documentariste, un journaliste, un chiropracteur et un professeur à la faculté des sciences du sport de Strasbourg qui signe la préface) dressent un panorama évidemment non exhaustif de joueurs et de responsables qui, dans leur vie privée, se sont retrouvés, à un moment donné de leur existence, complètement «hors-cadre». Et il y en a entre 1938 et 2016, période étudiée par ces trois mousquetaires de l'écriture qui «entraîne le lecteur dans les heures sombres du football» et présente une «sorte de négatif de l'histoire de ce sport».

Parmi les personnages «haut en couleurs» cités dans l'essai figure par exemple Jean-Pierre Bernès, aujourd'hui agent de joueurs professionnels et de cadres dirigeants (dont les très médiatiques Antoine Griezmann et Didier Deschamps). Cela ne poserait aucun problème s'il n'avait pas été radié à vie par la Fédération française de football en 1994 après l'affaire du match truqué OM-VA. Que dire de Luciano Moggi, de la Juventus de Turin, qui achetait les arbitres ou appelait directement le patron d'une chaîne de télévision afin d'empêcher la diffusion d'images pouvant être préjudiciables à son équipe?

Autre temps, autre contexte: l'une des «palmes» de l'ignominie revient sans doute à Alexandre Villaplana, dit Villaplane, ancien capitaine de l'équipe de France devenu petit escroc durant la Seconde Guerre mondiale avant de verser dans une collaboration plus qu'active avec l'occupant: «Villaplane se sent parfaitement à son aise dans l'atmosphère de marché noir florissant, de captation illicite de biens juifs.» L'homme rejoint ensuite la Gestapo française où il obtient le grade d'Untersturmführer. La Libération sonne son arrêt de mort. L'ancien natif d'Alger est passé par les armes au lendemain de Noël 1944.

Des collaborateurs, il y en eut aussi sous d'autres latitudes, plus récemment. En 1978, lors du mondial en Argentine, l'Albiceleste — surnom de l'équipe nationale — inflige une déculottée magistrale aux onze Péruviens qui occupent l'autre moitié du terrain. À l'époque, Buenos Aires vit sous la dictature de Jorge Rafael Videla qui, nous apprend ce livre, a une «amitié de longue date» avec «João Havelange, le président brésilien de la Fifa». Une défaite ayant été une atteinte à l'orgueil national, le match sera... truqué. En tout cas, c'est que laissent entendre les auteurs qui soulignent un fait étrange: «Durant les différents procès de la dictature, après 1983, il apparaît que 4 000 tonnes de blé (sur 23 000 pour l'année 1978 et 35 000 au total) ont été livrées sans contrepartie quelques jours après le match au gouvernement péruvien, sans doute avec des armes

Mais il y a aussi des personnages moraux dans ce sport. Retournons quelques instants en Argentine: «L'histoire retiendra aussi que la sélection hollandaise de 1978 a dignement refusé d'assister à la remise de la coupe par Videla. Que le 1er juin, les joueurs suédois, le gardien Ronnie Hellström en tête, ont été les seuls footballeurs à se rendre place de Mai face au palais gouvernemental pour rencontrer les mères de disparus qui manifestaient tous les jeudis pour réclamer le retour de leurs enfants ou parents victimes de la junte

Citons aussi Mathias Sindelar, joueur autrichien qui, alors que son pays a été annexé en 1938 par Hitler, mobilise ses coéquipiers lors du match contre l'Allemagne afin qu'ils ne transigent pas sur un point: jouer «les couleurs traditionnelles rouge-blanc-rouge malgré l'interdiction édictée. Pas de tenue, pas de match». Plus tard, il défie l'ordre noir en allant saluer Michl Schwartz, «ancien homme fort de l'Austria, réprouvé parce que Juif. Le nouveau président nous a interdit de vous saluer. Mais je vous saluerai toujours, monsieur, clame-t-il. Son cas s'aggrave.» Sindelar le paiera de sa vie: son corps inanimé sera retrouvé au début de l'année 1939 dans une morbide mise en scène.

Il y a aussi le Soviétique Eduard Streltsov, autre insoumis qui se taille une solide réputation d'excellent joueur au sein du Torpedo de Moscou, club rival du Dynamo («le club de la police»), du CDKA («ancêtre du CSKA, le club de l'Armée Rouge») et du fameux Spartak («le club des services de renseignement»). Seulement voilà: cet homme à la popularité croissante énerve les vieux fossiles communistes parce qu'il... refuse de serrer la main d'une compatriote dont «la mère est l'unique femme siégeant au sein du Politburo».

Contre-attaque immédiate des autorités: l'ancien footballeur est banni de la sélection nationale. Il doit faire son autocritique dans un journal. Inculpé de viol, il est envoyé au goulag. Libéré, celui qu'on surnomme «l'inventeur de la talonnade, autrefois appelée «passe à la Streltsov» reprend du service. Il meurt d'un cancer de la gorge alors que son pays, sous la houlette de Mikhaïl Gorbatchev, s'imagine un futur fait de glasnost et de perestroïka».

On pourrait égrener d'autres noms ici, résumer d'autre parcours. Les auteurs de Débordements le font bien mieux que l'auteur de ces lignes. Ils semblent intarissables que ce soit sur Rachid Mekhloufi, ancien de l'AS Saint-Etienne qui, en pleine guerre d'Algérie, fuit l'Hexagone pour aller participer à la formation d'une équipe du FLN ou sur cette sélection nord-coréenne accusée de trahison et envoyée dans un camp de travail par Kim Jong-hun après une défaite jugée humiliante pour le pays.

Et puis, il y a ces pages émouvantes consacrées à Tony Adams, joueur d'Arsenal, alcoolique au dernier degré, emprisonné pour conduite en état d'ivresse: «Je consacrais deux jours au football et cinq à l'alcool. Je buvais jusqu'à sept litres de bière par jour. Mes premières cuites, je les ai prises car j'avais peur de l'avion. À chaque déplacement, je me chargeais.» C'est grâce à son entraîneur Arsène Wenger que ce diable rouge remontera la pente.

N'en déplaise à ceux qui pensent le football est pourri jusqu'à la moelle, oui il existe encore de la solidarité, du collectif et de la morale dans ce sport. Mais cessons simplement de penser que les plus illustres joueurs sont forcément des symboles de probité. Lionel Messi, cinq fois ballon d'or, star parmi les stars et chouchou des médias, a été récemment condamné à vingt-et-un mois de prison pour fraude fiscale...


Olivier Villepreux, Samy Mouhoubi & Frédéric Bernard, Débordements. Sombres histoires de football 1938-2016, Anamosa, Préface de William Gasparini.