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Le journalisme, un service public? La leçon qui vient des États-Unis

23 septembre 2015

C’est aux États-Unis qu’a été réalisée la plus complète étude sur la profession de journaliste: 21 forums publics ont été organisés, mobilisant 3000 personnes, s’appuyant sur les témoignages et les analyses de plus de 300 journalistes.

© Charlotte Julie / 2013

© Charlotte Julie / 2013

 

C’est aux États-Unis qu’a été réalisée la plus complète étude sur la profession de journaliste, la plus remarquable des contributions pour restaurer le journalisme comme «service public».

 

Fabio Lo Verso 23 septembre 2015

C’est par un samedi pluvieux de juin 1997 qu’ils se sont réunis: rédacteurs en chef des plus grands quotidiens des États-Unis, personnalités marquantes de la radio et de la télévision étasuniennes et éminents professeurs de journalisme. Ils étaient une trentaine autour d’une table au Harvard Faculty Club, à Cambridge, près de Boston, mobilisés par un constat commun: «Au lieu de servir les intérêts du public, la majorité des journalistes, craignaient-ils, lui portaient tort.» Deux ans plus tard, en 1999, la plus sérieuse enquête effectuée aux États-Unis sur le journalisme leur donnait dramatiquement raison¹: il n’y avait plus que 21% des Étasuniens pour penser que les journalistes se souciaient du public, contre 41% en 1985. Quel puissant électrochoc!

Le groupe d’Harvard, désormais baptisé Committee of Concerned Journalists, s’est alors engagé dans l’étude critique la plus systématique et la plus complète jamais réalisée sur la profession de journaliste: 21 forums publics ont été organisés, mobilisant 3000 personnes, s’appuyant sur les témoignages et les analyses de plus de 300 journalistes. Le fruit de ce vaste travail est déposé dans un ouvrage publié en 2001 aux États-Unis, enfin disponible en France en poche sous le titre Principes du journalisme ². Cet essai constitue la plus remarquable des contributions pour restaurer le journalisme comme «service public». À l’heure où la Suisse se penche sur la redéfinition de cette notion, le livre de Bill Kovach et Tom Rosenstiel² offre un éclairage très utile. Mais il avance une thèse encore peu digeste pour la Confédération helvétique, où seules les radio et les télévisions sont adoubées de la mission de service public; or l’étude étasunienne place l’audiovisuel et la presse sur un pied de... neutralité. Le journalisme peut, lui, être qualifié de service public, non le média qui le véhicule.

Mais comment prétendre que le journalisme est un service public, si le public n’y joue plus aucun rôle? L’ouvrage de Kovach et Rosenstiel souligne ce paradoxe qui a fini par piéger tous les médias. Publics et privés. Aux États-Unis comme en Europe. Le fait est indiscutable: des années 1960 à ce jour, les rédactions se sont progressivement coupées du public. Non de leur public, mais «du» public. Kovach et Rosenstiel proposaient, en 2001 déjà, des remèdes qui commencent tout juste à faire débat en Europe aujourd’hui: pratiquer un journalisme désintéressé, sur le plan commercial et idéologique, orienté vers la recherche de solutions, et faire entrer, dans une certaine mesure, le public au sein des rédactions, ne serait-ce qu’en rendant transparentes les méthodes de travail des journalistes, et la hiérarchie décisionnelle...

Mais l’ouvrage offre aussi un impressionnant catalogue des travers dans lesquels est tombée la profession. Des travers dénoncés par les journalistes eux-mêmes, ce qui ne manque pas de sel. Voici des extraits bien assaisonnés: «Plutôt que de défendre les techniques et les méthodes qu’utilise la profession pour traquer la vérité, les journalistes préfèrent laisser entendre qu’elles n’existent pas!» Ou: «Le journaliste qui sélectionne ses propres sources pour exprimer ce qui n’est en fait que son propre point de vue, et recourt ensuite à ce style volontairement neutre pour donner l’apparence de l’objectivité, se livre à une sorte de tromperie.» Mais encore: «Plus le journaliste se considère comme partie prenante des événements (...), moins il peut réellement se considérer comme un journaliste
À la sortie du livre, en 2001 aux États-Unis, leurs auteurs mettaient en garde contre le danger de voir le journalisme «se perdre dans l’océan de la communication commerciale et idéologique». Quatorze ans plus tard, sauver le journalisme de cette noyade relève toujours de l’urgence vitale.


1. Striking the balance: Audience, Interests, Business Pressures and Journalists’ Values, Pew Reaserch Center for People and the Press.

2. Principes du journalisme. Ce que les journalistes doivent savoir, ce que le public doit exiger, Gallimard Folio, édition de poche publiée en février 2015. Par Bill Kovach et Tom Rosenstiel. Le premier a été directeur du bureau de Washington pour le New York Times; il est actuellement président du Committee of Concerned Journalists. Le second a été le principal correspondant de Newsweek auprès du Congrès américain. Il est président du Project for Excellence in Journalism.

 
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Le Grand Nord, le nouvel enjeu majeur pour le monde et la Suisse

5 juin 2015

L’Arctique se libère peu à peu de sa glace. Son sous-sol riche en ressources naturelles et l’ouverture de nouvelles routes maritimes attirent les grands acteurs internationaux, et attisent les tensions. La Confédération, par le biais de la recherche, est présente dans la région et espère être partie prenante de son développement futur.

Si le Grand Nord est une région stratégique, c’est en raison de la quantité de ressources naturelles dont elle regorgerait. © DR / Archives

Si le Grand Nord est une région stratégique, c’est en raison de la quantité de ressources naturelles dont elle regorgerait. © DR / Archives

 

L’Arctique se libère peu à peu de sa glace. Son sous-sol riche en ressources naturelles et l’ouverture de nouvelles routes maritimes attirent les grands acteurs mondiaux, et attisent les tensions. La Confédération, par le biais de la recherche, est présente dans la région et espère être partie prenante de son développement futur.

Martin Bernard 5 juin 2015

L’arctique sera peut-être l’enjeu géopolitique majeur du XXIe siècle. D’années en années, les glaces recouvrant le pôle nord fondent inexorablement. En trente ans, trois millions de kilomètres carrés de banquise ont disparu, l’équivalent de 73 fois la Suisse. «En mars, elle était à son niveau le plus bas jamais enregistré, constate Mikå Mered, spécialiste de l’Arctique et fondateur du Cluster polaire français. Et on se dirige vers une fonte record cet été.» Aujourd’hui, si la région est stratégique, c’est en raison de la grande quantité de ressources naturelles dont elle regorgerait et de l’ouverture, grâce à la fonte des glaces, de nouvelles routes maritime permettant de réduire de plus d’un tiers la distance entre l’Asie et l’Europe, par rapport au itinéraires traditionnels via les canaux de Suez et Panama. Les spécialistes estiment qu’à l’horizon 2030, l’océan Arctique pourrait être navigable durant deux à six mois de l’année (entre avril et septembre).

Selon une étude conduite en 2008 par l’US Geological Survey, l’Arctique recèlerait un quart des réserves mondiales non prouvées d’hydrocarbures (gaz et pétrole conventionnels et non-conventionnels). La Mer de Kara disposerait, par exemple, d’autant de pétrole que l’Arabie Saoudite. Selon la même étude, la région serait aussi la première réserve mondiale d’uranium (métal stratégique pour le nucléaire), et la troisième de terres rares, dont les dix-sept métaux sont au cœur du développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (ordinateurs, portables, écrans plats, etc.), et des technologies vertes (panneaux solaires, éoliennes, voitures électriques).

Parmi les acteurs politiques intéressés par le potentiel de l’Arctique se trouvent les huit pays riverains du cercle polaire — Russie, Canada, Norvège, états-Unis (via l’Alaska), Danemark (via le Groenland), Suède, Finlande et Islande —, mais aussi la Chine, la Corée du Sud et... la Suisse! Depuis 1996, un forum intergouvernemental de coopération, le Conseil de l’Arctique, réunit les huit «états Arctiques», six communautés autochtones, et douze pays observateurs, dont la Chine, la France, la Corée du Sud ou l’Inde. Cette année, alors que les États-Unis ont pris le 24 avril la présidence tournante (pour deux ans) de ce forum, de nombreux pays sont sur les rangs pour en devenir à leur tour membre observateur. Leur but? Être partie prenante des développements commerciaux et scientifiques futurs dans la région. C’est le cas de la Suisse, qui a officiellement déposé sa candidature en 2015. La présence de la Suisse au pôle nord peut surprendre, mais en réalité le pays a une longue tradition dans la recherche scientifique polaire grâce à sa connaissance des glaciers alpins. La Confédération a déjà été impliquée «dans une cinquantaine de projets scientifiques internationaux en Arctique ces dix dernières années», indique la brochure officielle de candidature de la Suisse au Conseil de l’Arctique, rédigée par le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE).

Au cœur de ces projets: l’étude de la circulation océanique, des calottes polaires, de la biodiversité et des écosystèmes, mais surtout la compréhension et la prédiction des évolutions du climat et de la circulation atmosphérique, «pouvant être de sérieux dangers pour le transport maritime et le forage pétrolier». Côté économique, la Suisse n’est pas en reste non plus. Fin 2012, la multinationale helvético-suédoise ABB, basée à Zurich, remportait un marché de 35 millions de francs pour la construction de systèmes de propulsion électrique destinés aux nouveaux brise-glaces russes construits par Rosmorport, et utilisés dans l’arctique pour ouvrir les voies de navigation. Pour Berne, participer à l’innovation polaire est «un enjeu de taille en matière de politique étrangère», rappelle Didier Burkhalter, conseiller fédéral et chef du DFAE. Cela permet de promouvoir l’excellence suisse en matière de recherche et d’innovation sur la scène mondiale». L’adhésion ou non de la Suisse au Conseil de l’Arctique sera décidée en 2017, à la fin de la présidence tournante des États-Unis.

Aujourd’hui, la Russie est l’acteur prépondérant dans le Grand Nord. En 2009, le Kremlin a fait officiellement de l’Arctique la pierre angulaire de sa stratégie énergétique. Depuis le début des années 2000, Moscou investit en effet massivement dans l’exploitation des hydrocarbures présents le long de ses côtes. Dans cette optique, Gazprom et Rosneft, les deux mastodontes russes du pétrole et du gaz, ont conclu des partenariats stratégiques avec des entreprises chinoises et japonaises pour développer les technologies nécessaires à l’extraction extrêmement coûteuse des hydrocarbures dans les régions polaires, et signer d’importants contrats d’acheminement via des gazoducs en direction de l’Asie.

Sécuriser le Grand Nord permettrait également à Moscou de s’assurer pour la première fois de son histoire un accès maritime direct aux débouchés commerciaux de l’Atlantique et du Pacifique. Une des conséquences de l’activité russe en Arctique est le renforcement des activités militaires servant à prévenir les difficultés de l’exploration en conditions extrêmes, protéger l’accès aux ressources naturelles et les voies maritimes de commerce. Mais pas seulement. «De nouvelles menaces contre notre sécurité nous obligent à augmenter nos capacités militaires. Une attention particulière doit être apportée à nos nouvelles unités stratégiques du nord», a déclaré en mars Sergueï Choïgou, le ministre de la Défense russe. Des aérodromes, des bases au sol et des stations radars datant de la guerre froide ont ainsi été réaménagés. Pour tester ses voisins et réagir aux exercices réguliers menés conjointement dans le Grand Nord par les pays membres de l’OTAN, le Kremlin a lancé, mi-mars, un exercice militaire d’envergure dans l’Arctique. Le président russe Vladimir Poutine a ordonné à la Flotte du Nord, la plus puissante des quatre flottes de la marine russe, de se mettre en capacité de combat, avec une quarantaine de navires en surface, 15 sous-marins, 110 avions et 38 000 soldats au sol.

Au cœur des possibles «menaces contre la sécurité» évoquées par le ministre de la Défense russe se trouve l’extension des limites de souveraineté des états arctiques sur les ressources potentielles de leurs fonds marins; des limites fixées à 200 miles au delà des côtes par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) en 1982. Selon les estimations, 95% des ressources naturelles se trouvent dans ces zones économiques exclusives, sous la juridiction des différents pays riverains, qui cherchent donc à les étendre. Face à la stratégie cohérente de Moscou, et alors que le Canada, la Norvège et le Danemark augmentent eux aussi leurs investissements et leur présence militaire, de nombreux observateurs regrettent le manque d’intérêt de Washington, qui n’a pas encore ratifié la CNUDM.

Depuis le début du XXe siècle, la géopolitique anglo-saxonne a considéré le continent eurasien (occupé par la Russie et la Chine) comme le lieu propice au développement d’une puissance rivale au potentiel hégémonique. De cette conception résulte une politique étasunienne d’endiguement en Europe de l’est, en Asie centrale et dans le Pacifique, destinée à maintenir un équilibre des pouvoirs en Eurasie et à prévenir l’émergence d’une puissance concurrente sur la scène internationale. Conséquence: préoccupés par le Moyen-Orient et l’Asie, «les présidents Bush et Obama ont presque ignoré l’Arctique, regrette Andrew Holland, membre à Washington du laboratoire d’idées American Security Project. Ils ont exprimé des intentions pour la région, sans libérer les fonds nécessaires à leur concrétisation».

 
 

Dans les faits, depuis 1991 et la chute de l’Union soviétique, les États-Unis n’ont quasiment pas renouvelé leur présence militaire dans le Grand Nord. Côté ressources, le champ pétrolier de Prudhoe Bay en Alaska, le plus important d’Amérique du Nord, est exploité depuis 1977, mais se situe à proximité de la zone protégée de l’Arctic National Wildlife Reserve, ce qui est source de polémique pour Washington. Des forages exploratoires ont aussi été réalisés par Shell en 2012 au large des côtes de l’Alaska, mais sans le succès escompté.

Cette situation est-elle pour autant inéluctable, côté américain? «Le retard des États-Unis est politique, non technologique, analyse Mikå Mered. Ils doivent utiliser leur présidence du conseil de l’Arctique, façonner la gouvernance de la région selon leurs objectifs et recréer une ligne d’endiguement dans le Grand Nord.» Le 21 janvier dernier, la Maison Blanche a publié un décret visant à améliorer la coordination des activités américaines dans la région, articulées autour de la coopération, de la préservation du climat et du développement socio-économique. Un premier jalon en vue de préciser sa stratégie arctique. Une nécessité pour Andrew Holland, qui craint dans le cas contraire «une escalade des tensions pouvant mener à un conflit». Crainte confirmée par des propos de l’amiral russe Vladimir Vysotsky, révélés par Wikileaks en 2011: «Si l’Arctique connaît la paix et la stabilité, on ne peut pas exclure qu’à l’avenir il y ait une redistribution des pouvoirs, y compris par des interventions armées

 

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Drôles de jeux africains pour une holding tessinoise

17 avril 2015

Un comptable disparaît au Congo et toute une affaire mêlant un politicien belge et une multinationale de l’acier basée à Lugano apparaît en toile de fond. Un nouveau scandale financier en perspective.

© Patrick Gilliéron Lopreno / Avril 2015

 

Un comptable disparaît au Congo et toute une affaire mêlant un politicien belge et une multinationale de l’acier basée à Lugano apparaît en toile de fond. Un nouveau scandale financier en perspective.

 

Federico Franchini 17 avril 2015

Cela commence à la manière d’un roman de Joseph Conrad. Stephan de Witte, un discret comptable belge, disparaît alors qu’il remontait le fleuve Congo. Et l’affaire nous conduit à l’arrestation, le 16 mars dernier à Bruxelles, d’Antonio Gozzi, président-directeur général de Duferco, multinationale de l’acier basée à Lugano ¹. C’est à partir de la mystérieuse disparition du comptable que les enquêteurs belges sont remontés jusqu’à la holding tessinoise. De Witte avait travaillé comme consultant pour Duferco, qui contrôle en Belgique des sociétés actives dans la finance, l’immobilier et la logistique. Il y a quelques années, le comptable décide de changer de vie. Il quitte sa famille et trouve un emploi dans un grand jardin botanique à une centaine de kilomètres de Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo (RDC). Au printemps 2014, De Witte cesse de donner de ses nouvelles. En juin, son ex-femme dénonce sa disparition.
Dès lors, la justice belge plonge dans une véritable intrigue internationale. Les juges saisissent des documents et analysent les structures des sociétés que le comptable avait contribué à façonner, dont celles de Duferco. La société est l’un des leaders mondiaux dans le commerce de l’acier. Son quartier général est sis à Luxembourg, mais son siège légal et opérationnel se trouve basé à Lugano, où travaillent un demi-millier de personnes. Les courtiers de Duferco négocient des matières premières sidérurgiques et énergétiques.

C’est par cette société — dont la majorité du capital a été rachetée en novembre 2014 par le géant chinois Hebei — que Lugano est devenue la troisième place de Suisse dans le négoce des matières premières, avec des parts de marché particulièrement importantes dans des produits de niche comme l’acier et le charbon. L’enquête judiciaire en Belgique marque une étape importante le 24 février dernier, lorsque la police arrête Serge Kubla, maire de Waterloo et ancien ministre de l’économie du gouvernement régional de la Wallonie. «Les faits qui font l’objet de l’instruction concernent les activités en République démocratique du Congo du groupe industriel Duferco», peut-on lire dans le communiqué officiel du Parquet fédéral de Bruxelles. Le comptable de Witte fut probablement engagé par Duferco comme agent local pour coordonner l’entrée du groupe dans le marché congolais. Serge Kubla aurait, quant à lui, joué un autre rôle. Poids lourd du Mouvement réformateur, le parti du premier ministre belge Charles Michel, il aurait livré, dans un luxueux hôtel bruxellois, 20 000 euros à la femme de l’ancien premier ministre congolais Adolphe Muzito. Selon les enquêteurs, cet argent était un acompte d’un pot-de-vin portant sur 500 000 euros. La femme a démenti ces accusations et annoncé le dépôt d’une plainte.

Les rapports entre Kubla et Gozzi remontent au début des années 2000, lorsque Duferco lance la reconversion de ses activités en Wallonie. La société basée au Tessin avait alors bénéficié d’importants financements publics de la part de la région wallonne, dont le ministre de l’économie était à cette époque Serge Kubla lui-même. Entre investissements directs et prêts financiers, l’entreprise sidérurgique a touché plus de 500 millions d’euros via une société créée par la région wallonne, la Foreign Strategic Investment Holding. Une somme faramineuse qui a attiré l’attention de la Commission européenne. Celle-ci a ordonné une enquête visant à établir si la région de Wallonie a agi comme un investisseur privé et si ces investissements sont compatibles avec les normes européennes. L’investigation est en cours: «La Commission reste en contact avec les autorités belges concernées sur ce cas pour vérifier si Duferco a reçu un avantage économique vis-à-vis de ses concurrents», communique Ricardo Cardoso, porte-parole de la Commissaire à la concurrence Margrethe Vestager.

En attendant, les enquêteurs ont retrouvé des factures payées par l’entreprise à Serge Kubla, prouvant les liens financiers entre l’ancien bourgmestre de Waterloo et le PDG de Duferco, personnage très connu en Italie ou il préside l’organisation faîtière de l’acier ainsi qu’une équipe de foot de deuxième division. Comme il a été révélé par le journaliste d’investigation Philippe Engels, ces factures ont été envoyées à Lugano par la Socagexi Limited, une société basée à Malte, créée et dirigée par Serge Kubla. Nous sommes en possession d’une facture de 60 000 euros, adressée à la société Ironet SA, sise via Bagutti 9 à Lugano. Cette entreprise n’est pas enregistrée au Registre du commerce tessinois, mais son adresse correspond à celle de Duferco. La facture porte comme justificatif des «frais de consulting» inhérents «à la prospection commerciale et industrielle dans des pays africains (RDC et Ghana)» ainsi qu’à «la création d’une société en République démocratique du Congo».

Le montant de 60 000 euros correspondrait à une première tranche d’un paiement annuel d’au moins 240 000 euros, versé à Kubla par Duferco pour l’accès au marché de la République démocratique du Congo (RDC), ancienne colonie belge richissime en matières premières, diamants et or. Argent que Kubla aurait utilisé pour corrompre des politiciens locaux comme Adophe Muzito, comme le laissent entendre les enquêteurs belges. Selon eux, l’entreprise tessinoise est soupçonnée d’avoir «au travers de la corruption d’agents publics congolais, favorisé l’évolution d’investissements importants dans le secteur du jeu et des loteries».

Mais quel est le lien entre une entreprise active dans l’acier et le secteur de loteries dans l’un des pays les plus martyrisés du monde? Apparemment, aucune. Il faut néanmoins comprendre la réalité du Congo, pays connu pour sa corruption endémique et par le fait que les affaires et les ressources sont gérées au service des intérêts de sa classe dirigeante. Si l’on veut obtenir une part du marché, il faut frapper à la bonne porte. Et pour en huiler les gonds, Kubla aurait été mandaté par Duferco. Ainsi, sur le conseil de l’ancien bourgmestre (maire) de Waterloo, Duferco aurait investi dans le secteur de la loterie congolaise, contrôlée par l’appareil bureaucratique de Kinshasa, afin de tisser des liens avec la politique locale et de permettre son entrée dans le marché congolais. Antoino Gozzi et Antonio Croci figurent en outre comme administrateurs d’une petite société belge créée en 2010, la Successfull Expectations Belgium (SEB), dont le bilan était révisé par le cabinet De Witte-Viselè Associates, pour qui travaillait Stéphan de Witte, le comptable disparu. Comme le démontrent les rapports annuels (2011, 2012 et 2013), SEB tire les ficelles d’une série de sociétés actives dans le secteur de jeu basées au Rwanda, Burundi, en Zambie, et, surtout, au Congo. Selon des sources proches du dossier, la Congo Gaming Technologies, filiale congolaise de SEB, serait présidée par Kubla.

Interviewé par la Radiotélévision suisse italienne (RSI), Bruno Bolfo, fondateur et président de Duferco, affirme que cette opération dans le secteur des jeux congolais s’est soldée par la perte de 11 millions de dollars. Bolfo spécifie pourtant que l’affaire ne concerne pas directement Duferco mais des intérêts économiques extérieurs, personnellement attribuables aux actionnaires du groupe. L’actionnaire principal de SEB est la société luxembourgeoise Succesfull Expectations. Or, cette dernière, administrée par l’équipe dirigeante de Duferco à Lugano, est devenue en 2012 le seul actionnaire de Duferco Participations Holding SA. C’est-à-dire de la holding qui devrait contrôler le capital de Duferco. La même année, Successful Luxembourg a vendu ses parts dans SEB. À qui? Les recherches mènent à une certaine Barkley Intertrade Limited, ayant son siège à Tortola, dans les Îles Vierges britanniques. De Kinshasa à Tortola, en passant par Lugano, Luxembourg et Waterloo, un nouveau scandale financier ébranle donc la place helvétique.


1. Avec lui, Antonio Croci, un autre dirigeant de Duferco, a été arrêté. Ces deux ressortissants italiens ont été libérés trois jours plus tard, sous condition de répondre aux convocations du Parquet belge.

 
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La conquête de l’or noir africain à partir d’une villa tessinoise

19 avril 2014

Objet de toutes les convoitises de la part d’un monde énergivore et assoiffé de profits rapides, l’Afrique voit se développer sur son continent sociétés écrans et intérêts entremêlés entre finance et politique. Dans cette jungle, La Cité est partie sur les traces d’une discrète société établie au Tessin, qui a tissé un réseau d’influence à travers plusieurs pays africains. Un cas d’école.

© Charlotte Julie / 2014

© Charlotte Julie / 2014

 

Objet de toutes les convoitises de la part d’un monde énergivore et assoiffé de profits rapides, l’Afrique voit se développer sur son continent sociétés écrans et intérêts entremêlés entre finance et politique. Dans cette jungle, La Cité est partie sur les traces d’une discrète société établie au Tessin, qui a tissé un réseau d’influence à travers plusieurs pays africains. Un cas d’école.

 

Federico Franchini 19 avril 2014

Après avoir fait parler d’elle l’été 2010, la société Medea Development resurgit à la surface fin 2013, au Ghana. Le parlement de ce pays décide, le 6 décembre 2013, de confier l’exploration de nouvelles zones pétrolifères, au large de l’océan Atlantique, à deux sociétés: la Cola Natural Resources Ghana Ltd, et... Medea Development Limited, filiale domiciliée dans les Îles Vierges britanniques. Dans un communiqué publié sur son site (cliquez ici), son directeur général, l’Italien Giuseppe Ciccarelli, ancien cadre dirigeant de l’ENI (Ente nazionale idrocarburi, l’entité nationale de l’énergie fossile en Italie), se réjouit. Ce contrat va faire gagner des sommes astronomiques à son entreprise, dont la base opérationnelle est sise via Camorgio à Massagno, près de Lugano (La Cité a tenté de prendre langue avec Medea, qui n’a pas donné suite à nos questions).

C’est de cette adresse tessinoise — une villa cossue avec piscine — que la société Medea est partie à la conquête du pétrole africain, tissant un vaste réseau d’influence dont on n’a pas encore mesuré toute l’étendue. Remonter le parcours de cette société discrète mais au bras très long, c’est lever un voile sur l’activité des firmes suisses dans le commerce, souvent opaque, de l’or noir. Avant d’entrer de plain-pied dans le marché du pétrole ghanéen où, à peine arrivée, elle tutoie déjà l’entreprise nationale du secteur, Medea défraye la chronique, en 2010, dans un autre pays africain, la République démocratique du Congo (RDC).

Elle y apparaît pour la première fois en juin de cette année-là, lorsqu’un décret du président Joseph Kabila ouvre deux secteurs d’exploration pétrolière dans le lac Albert, le septième d’Afrique par la superficie, à la frontière avec l’Ouganda. Le mandat est attribué à deux sociétés dont personne n’a entendu parler auparavant: Caprikat Ltd et Foxwhelp Ltd, elles aussi domiciliées dans les Îles Vierges britanniques.

 
Le siège tessinois de la société Medea Development, à Massagno, près de Lugano.© Federico Franchini / Mars 2014

Le siège tessinois de la société Medea Development, à Massagno, près de Lugano.© Federico Franchini / Mars 2014

 

Étrangement, ces deux entreprises, opérationnelles depuis un mois, ne disposent ni du savoir-faire ni de la technologie nécessaire. Elles s’adressent alors à Medea Development — qui devient leur partenaire officiel —, son directeur, Giuseppe Ciccarelli, assumant le rôle de porte-parole de cette alliance. Conseiller des gouvernements ougandais, congolais et kenyan, l’homme est très en vue dans la région, où il conçoit parallèlement un projet d’oléoduc pour exporter le pétrole du lac Albert jusqu’à l’océan Indien. Il côtoie également les hautes sphères du pouvoir en Afrique du Sud. Conclu dans l’opacité, le contrat du lac Albert est controversé. Dans un premier temps, il avait été négocié avec deux autres sociétés, Tullow Oil et Divine Inspiration, choisies par le ministère congolais des hydrocarbures. Sans expliquer ses motivations, le cabinet présidentiel de Joseph Kabila impose un nouveau tandem sociétaire, Caprikat Ltd et Foxwhelp Ltd, surgi de nulle part. Selon un rapport publié en 2012 par l’International Crisis Group, derrière ce retournement, il y a une «lutte de pouvoir» au plus haut niveau de l’état.

Cette ONG basée à Bruxelles pointe «l’absence d’un état régulateur» et le risque pour «le secteur pétrolier de devenir, à l’instar du secteur minier, un terrain d’affrontements entre intérêts locaux et étrangers sur fond de législation inadaptée, d’opacité financière et de ‘présidentialisation’ d’un secteur économique stratégique». En effet, la gestion des affaires pétrolières est désormais passée des mains du ministère congolais des hydrocarbures à celles du cabinet du président Kabila. Exploité à partir de 1960, le secteur pétrolier du Congo a longtemps été un marché secondaire dans ce pays regorgeant de matières premières autrement plus lucratives (du moins à l’époque), telles que l’or, le cuivre, et le coltan. Depuis une quinzaine d’années, le pétrole s’affirme comme le nouvel Eldorado, passant progressivement sous la gestion directe du bureau présidentiel, qui s’entoure de groupes étrangers en court-circuitant les ministères compétents.

Cette nouvelle donne culmine avec la création, au début de l’été 2010, d’Oil of Congo, une joint venture entre Caprikat Ltd et Foxwhelp Ltd, chargée de l’administration des forages exploratoires, avec une participation étatique limitée à 15%. La Cohydro — société de l’État congolais spécialisée dans les hydrocarbures — est écartée, alors qu’elle a habituellement l’autorité pour négocier les contrats pétroliers sur le territoire de la RDC. Parlant au nom de ce consortium inédit, Giuseppe Ciccarelli, directeur général de Medea, tente de fournir des éclaircissements dans une interview accordée à Reuters, le 16 août 2010  (lire ici), quelques semaines après la naissance d’Oil of Congo. Selon lui, Caprikat Ltd et Foxwhelp Ltd ont été plus rapides et efficaces que les entreprises locales, c’est pourquoi elles auraient été choisies pour mener le consortium Oil of Congo. Et de mentionner l’engagement de ce nouveau groupe à investir dans les infrastructures publiques, avec un apport de 3,5 millions de dollars pour la construction d’une route, d’une centrale électrique et d’un système d’approvisionnement hydrique.

Mais qui détient Caprikat Ltd et Foxwhelp Ltd, entités jusque-là inconnues, mandatées du jour au lendemain pour chercher du pétrole au fond d’un lac, dont on dit qu’il cache des réserves incalculables? La piste mène en Suisse, dans le bureau de l’avocat genevois Marc Bonnant. Nommé administrateur des deux sociétés, il donne rapidement, d’une part, procuration légale à Khulubuse Zuma, neveu du président sud-africain Jacob Zuma, pour représenter Caprikat Ltd. Il délègue, d’autre part, Michael Hulley, avocat personnel du président Zuma, pour la gestion de Foxwhelp Ltd. Pourquoi? Contacté le 3 mars dernier, l’avocat genevois répond laconiquement, mais sans tarder, le lendemain même: «Je ne suis plus l’administrateur de Caprikat Limited et de Foxwhelp Limited. Je n’ai donc pas qualité pour vous fournir l’information que vous souhaitez.» Un semblant de réponse est peut-être à rechercher dans les déclarations de Giuseppe Ciccarelli au journal congolais La Prospérité, en juillet 2010. «Cette entreprise commune permettra à la RDC et à l’Afrique du Sud de travailler en étroite collaboration pour consolider leurs industries et économies.»

Mais en été 2010, les investisseurs restent encore cachés dans l’ombre. «Ce n’est pas le moment de dévoiler leur identité», affirmera M. Ciccarelli dans son interview à Reuters un mois plus tard, affirmant que Khulubuse Zuma et Michael Hulley ne détiennent aucune part dans les sociétés qu’ils administrent, derrière lesquelles opérerait en réalité un trust helvétique, dont il refuse de dévoiler l’identité. à cette époque, Khulubuse Zuma et Michael Hulley sont aussi les administrateurs de la société d’investissement Aurora Empowerment System, active dans les mines d’or.

 
© AP Photo/Marc Hofer/Archives

© AP Photo/Marc Hofer/Archives

 

Selon la revue spécialisée Africa Intelligence, quelques jours avant l’octroi de la concession à Caprikat Ltd et à Foxwhelp Ltd, Aurora Empowerment System aurait bénéficié d’un financement de 78,8 millions de dollars par un autre fonds d’investissement, le Global Emerging Markets (GEM). Une entité liée à GEM Management, sise à Genève, qui gère et administre les sociétés du groupe GEM Management Ltd, basée... aux Îles Vierges britanniques. La somme de 78,8 millions de dollars aurait servi de gage financier à la candidature de Caprikat Ltd et à Foxwhelp Ltd.

C’est l’une des missions du fonds GEM que de fournir une assise financière aux nouvelles sociétés qui n’obtiennent pas de prêts bancaires, en raison de leur manque d’expérience ou du risque élevé que comporterait leur activité. Dirigée par le petit fils de Nelson Mandela, Zondwa Gadhafi Mandela, Aurora Empowerment System est mise en liquidation en 2011 et ne peut donc plus dévoiler ses secrets¹. On ignore les raisons de cette liquidation, qui contribue à maintenir un épais nuage autour des activités, en Afrique, des deux sociétés anciennement administrées par Marc Bonnant ainsi que de la société Medea Development. Pour Valentino Arico, chargé de projet à la Déclaration de Berne, une ONG qui enquête depuis des années sur le rôle des sociétés suisses dans le commerce mondial de matières premières, cette affaire est emblématique de l’absence de transparence qui domine dans ce secteur. «Medea Development participe à une structure opaque qui ne permet pas de déterminer les ayant droits économiques de ses activités pétrolières, ainsi que le montant des paiements effectués au gouvernement congolais.»

 
 

C’est le ministre des hydrocarbures, Atama Tabe, qui brisera en partie cette opacité en dévoilant, lors d’une interview accordée au Financial Times le 24 juin 2012  (lire ici), le nom du principal investisseur de Caprikat Ltd et Foxwhelp Ltd: Dan Gertler, un commerçant de diamants israélien. à travers la holding d’investissement Fleurette Group, il contrôle diverses concessions minières en RDC. Âgé de 41 ans, il est défini par la revue Forbes comme «le visage émergent du ‘capitalisme irresponsable’ en Afrique».
Les révélations du ministre congolais expliquent la fulgurante ascension de Caprikat Ltd et de Foxwhelp Ltd: les deux sociétés sont détenues par l’ami et conseiller personnel du président Joseph Kabila... «Dan Getler est l’un des rares Blancs à avoir été invité au mariage de Joseph Kabila, ce qui montre l’importance et l’influence dont il dispose auprès des plus hautes sphères du pouvoir congolais», explique Massimo Alberizzi, longtemps correspondant en Afrique du Corriere della Sera, animateur du site www.africa-express.info. Le personnage est épinglé par l’African Progress Panel, un organisme fondé par Kofi Annan, ex-secrétaire général de l’ONU. Il dévoile que Dan Gentler a conclu cinq contrats spéculatifs, achetant puis revendant à des prix surfaits des concessions pour l’exploitation de matières premières, causant ainsi, entre 2010 et 2012, une perte de 1,4 milliard de dollars à l’État congolais, l’équivalent du double de son budget annuel dans les domaines de la santé et de l’éducation.

Dans la région du lac Albert, la population locale est offusquée et elle le fait savoir. Elle réagit dès la première heure, lors d’une conférence publique qui se tient en juillet 2010 à Bunia, principal centre urbain de la région, à quelques kilomètres du lac Albert. Une délégation gouvernementale, venue faire la promotion du projet, se fait accueillir par des protestations. Nous sommes dans l’Ituri, qui compte 28 députés représentant ce vaste territoire au parlement national. La presque totalité d’entre eux émet des réserves sur le projet, dénonçant la mainmise de sociétés domiciliées dans un paradis fiscal sur les ressources naturelles du pays. Portée par la grogne populaire, l’ONG Itury Civil Society monte elle aussi au front, réclamant la renégociation du contrat d’exploitation et demandant que l’État augmente sa participation de 15 à 30% du capital, un pourcentage pouvant servir de minorité de blocage.

Les mois passent et la mobilisation ne faiblit pas contre l’opacité qui continue d’entourer l’affaire. En janvier dernier, une pétition est déposée, dénonçant l’absence des investissements promis par Oil of Congo. Elle est relayée par Radio Okapi, co-gérée par la Fondation Hirondelle à Lausanne, et financée par la Direction du développement et de la coopération (DDC) à Berne. Une pétition visant à faire toute la lumière sur un marché devenu trop opaque, à tel point que le FMI a menacé de bloquer ses prêts à la RDC à cause de son manque de transparence dans la gestion de ses principales ressources. Mais la fronde populaire arrive peut-être trop tard, puisque Dan Gertler serait en passe de revendre ses concessions du lac Albert. Il aurait chargé son associé, Oren Lubow — directeur d’une société suisse d’extraction d’or en RDC, la Moku Goldmines, contrôlée à 97% par Fleurette Group —, de convaincre les grandes compagnies pétrolières internationales à racheter ses contrats. De son côté, Oil of Congo a lancé l’an dernier une campagne de séduction, sponsorisant la tenue, en septembre 2013, de l’Oil and Gas Forum à Kinshasa.

Le président d’Oil of Congo, M. Pedaci, ex-directeur de la filière gaz d’ENI et ancien consultant de Medea, y annonçait la fin des explorations géologiques sous le lac Albert et faisait état d’un potentiel de deux milliards de barils d’hydrocarbures liquides (pétrole et gaz). Une déclaration qui était censée susciter la convoitise des «majors» de l’énergie. Mais la réputation de Dan Gertler et le fait que Caprikat Ltd et Foxwhelp Ltd apparaissent de plus en plus comme des coquilles vides refroidissent visiblement les investisseurs potentiels. Qui spéculent sur un retournement politique.

 
 

Selon Africa Intelligence, en effet avec la mort accidentelle de Augustin Katumba en février 2012, — un membre très influent du gouvernement Kabila (selon la revue Jeune Afrique, il était l’éminence grise de Kabila) —, Caprikat Ltd et Foxwhelp Ltd auraient perdu un soutien politique fondamental. Ce décès pourrait changer la donne et permettre aux «majors» de l’énergie de revenir en force, profitant de l’affaiblissement d’Oil of Congo.

Pendant ce temps, l’alliance entre Dan Gertler et Medea Group a déplacé ses pions dans une zone franche au large de l’océan atlantique, entre l’Angola et la RDC. Un rapport publié en janvier dernier, par l’ONG britannique Global Witness, montre que Dan Gertler est le principal bénéficiaire d’une société off-shore, la Nessergy Ltd, ayant son siège à Gibraltar. à travers elle, il a obtenu une concession dans cette zone transfrontalière, qu’il a ensuite revendue aux compagnies étatiques Sonangol (Angola) et Cohydro (RDC). Pour un prix trois cents fois supérieur à la mise initiale, sans qu’aucune communication publique n’ait été rendue.

Consultant de Cohydro, le directeur général de Medea Development, Giuseppe Ciccarelli aurait joué le rôle de médiateur. Selon Africa Intelligence, il aurait participé au financement du voyage, l’an dernier, des dirigeants de Cohydro dans la capitale ougandaise Luanda pour conclure l’accord. Pour Daniel Balint-Kurti, de Global Witness, «Medea Development a fait un travail décisif dans l’un des accords pétroliers les plus controversées en Afrique ces dernières années. Il est important que tous les bénéficiaires de cette entreprise soient devoilés et que l’on explique comment les zones d’exploration pétrolières ont été confisquées avant de tomber dans les mains de Caprikat Ltd et Foxwhelp Ltd. Il incombe à toute société, qui songe éventuellement à racheter à Oil of Congo les droits d’exploitation des zones concernées, de bien connaître au préalable ses beneficiaires».

Étonnamment, Fleurette Group de Dan Gertler rejoint Global Witness. Dans un communiqué du 24 mars 2014, il réclame un code de régulation du secteur des hydrocarbures et assène: «Nous sommes persuadés que les bénéficiaires de toutes les concessions doivent être connus.» Signe que le vent commence à tourner? Depuis 2005, année où l’on retrouve Medea dans le cadre du programme, controversé, Oil for Food (le Secrétariat d’État à l’économie suisse et l’ONU lui avaient autorisé l’achat de deux millions de barils de pétrole irakien), la société tessinoise a parcouru bien du chemin. Du Congo au Ghana, en passant par l’Ouganda, l’Angola et le Kenya, son nom apparaît dans les plus grands contrats pétroliers publics, couvrant des régions instables qui peuvent exploser à tout moment. «La ruée vers le pétrole est en train de créer de nouvelles tensions. Quand le pétrole jaillit, la guerre n’est pas loin», analyse Massimo Alberizzi, ex-correspondant du Corriere della Sera. «Certains mettent en garde contre une escalade guerrière dans un pays qui n’a jamais vraiment été pacifié, puisque ses immenses richesses naturelles suscitent l’avidité de trop de monde. Et d’autres tirent profit de cette instabilité.»


¹ Aurora Empowerment System connaît des problèmes judiciaires en Afrique du Sud début 2011. Les salariés de ses mines d’or de Pamodzi, soit environ 1200 personnes, vont porter plainte contre la société. Ses derniers réclament des arrières de salaire (plus d’un an). Ils accusent les dirigeants d’Aurora Empowerment System d’avoir sciemment coulé cette dernière en retirant massivement des capitaux. Extrait de: Produire du pétrole en zone de conflit: cas de l’Afrique médiane, thèse de Benjamin Auge, 20 novembre 2012, Université de Paris 8, centre de recherche et analyse géopolitiques.

 
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«Golden Road», sur les traces du trafic d’or italo-suisse

3 février 2014

L’autoroute A9 reliant la Lombardie au Tessin est, depuis 2000, la principale voie de commerce d’or du Sud vers le Nord. Un commerce légal, mais bien souvent illégal. Environ 5 tonnes de métal jaune auraient franchi frauduleusement la frontière suisse en 2013. Les investigations se poursuivent dans la discrétion entre la Suisse et l’Italie.

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L’autoroute A9 reliant la Lombardie au Tessin est, depuis 2000, la principale voie de commerce d’or du Sud vers le Nord. Un commerce légal, mais bien souvent illégal. Environ 5 tonnes de métal jaune auraient franchi frauduleusement la frontière suisse en 2013. Les investigations se poursuivent dans la discrétion entre la Suisse et l’Italie.

 

Federico Franchini 4 février 2014

Avril 2013, autoroute A9, entre Milan et Chiasso. à une vingtaine de kilomètres de la frontière suisse, près de la sortie de Turate, dans la province italienne de Côme, un commando d’une dizaine d’hommes armés et cagoulés prend d’assaut deux véhicules blindés transportant une cargaison de lingots d’or. L’attaque est spectaculaire: deux poids lourds pilotés par les malfrats se placent au travers de l’autoroute, bloquant la circulation, des clous à trois pointes sont disséminés sur le bitume, alors que des tirs de kalachnikov éclatent, paralysant de peur les automobilistes. Les fourgons sont criblés de projectiles. Les transporteurs se rendent sans opposer la moindre résistance, laissant les voleurs s’emparer de 240 kilos de métal jaune, d’une valeur de plus de dix millions d’euros. La bande de malfaiteurs s’enfuit à bord de trois automobiles, qui seront abandonnées non loin de là. Le 13 janvier, les carabiniers italiens ont arrêté trois hommes soupçonnés d’être impliqués dans l’organisation de l’attaque.

Le précieux chargement voyageait d’Italie vers la Suisse. L’autoroute A9, qui relie la Lombardie au Tessin, est désormais appelée la Golden Road. Sur cet axe autoroutier transitent quotidiennement des véhicules blindés de transport d’or. Tous franchissent la frontière helvétique et déchargent leur cargaison en Suisse, en premier lieu au Tessin. Selon l’Institut national italien de la statistique (Istat), 146 tonnes de métal jaune ont traversé la Golden Road en 2012, enregistrant une hausse de 22% par rapport à l’année précédente. Entre 2010 et 2011, l’augmentation était de 79%. En 2013, la quantité d’or transportée sur cette artère autoroutière s’élevait à 90 tonnes dans les dix premiers mois de l’année. Voilà qui ressort des statistiques du commerce légal.
Le trafic illégal, lui, échappe à toute statistique. Il est le fait de réseaux criminels opérant souvent «à l’ancienne», avec le vieux stratagème du coffre à double fond et de passeurs inconnus aux yeux des forces de l’ordre. Tel cet Italien de 53 ans arrêté le jour de Pâques de 2013 près de la douane de Ponte Chiasso. Cent dix kilos d’or répartis en douze lingots ont été découverts dans une cachette que l’homme avait bricolée dans sa voiture, un banal véhicule utilitaire choisi pour tromper la vigilance des gardes-frontière. Tout aussi artisanal était l’emballage enveloppant les lingots: papier journal et ruban adhésif.

Ce passeur était-il conscient qu’il transportait plus de 4,5 millions d’euros? La police n’a pas de réponse, et elle ignore également la provenance du métal jaune, les lingots étant dépourvus d’attestation de traçabilité et même d’indice sur sa pureté. Ancien membre de la Garde des finances, la police douanière et financière italienne, résidant en Suisse et représentant légal d’une société active dans le secteur des métaux précieux, sise à Agno, près de Lugano, le ressortissant italien devrait comparaître pour blanchiment devant le tribunal de Côme.
«Il ne s’agit pas d’un cas isolé», expliquait quelques jours après l’assaut, à la Radiotélévision suisse italienne, Alessandro Lucchini, commandant de la Garde des finances, à l’époque en poste à Ponte Chiasso: «Ces deux dernières années, les saisies d’or ont augmenté de façon exponentielle, du moins dans les passages de frontières de la province de Côme.» En 2010, aucun séquestre n’est effectué. Mais en 2011, la Garde des finances saisit sept kilos d’or. L’année suivante, la hausse s’amorce avec 58 kilos confisqués. Et c’est le record en 2013: les douaniers italiens mettent la main sur plus de 120 kilos dissimulés dans des voitures roulant vers la Suisse. Belle prise certes, mais goutte dans l’océan de l’or clandestin. Selon les autorités italiennes, au moins 5 tonnes de métal jaune ont franchi illégalement la frontière tout au long de 2013, échappant à la surveillance policière. Étrangement, la Direction d’arrondissement des douanes de Lugano affirme, pour sa part, qu’elle n’est pas à connaissance du phénomène. Même réponse à Berne. L’Administration fédérale des douanes (AFD se dit même plutôt surprise d’apprendre l’existence d’un trafic d’or illégal entre l’Italie et la Suisse: «Nous n’avons eu, au cours des dernières années, seulement quelques cas mineurs concernant la contrebande de l’or. Nous avons pas de donnés statistiques à ce sujet», déclare le chef du service de communication de l’AFD.

L’explosion du commerce de l’or s’explique par la prolifération fulgurante dans la Péninsule de boutiques labellisées Compro oro (Achat d’or). Elles ont littéralement poussé comme des champignons, au plus fort de la dernière crise économique. En Italie, on estime à plus de 30 000 ces petits commerces. Ce phénomène s’est également développé en Suisse, où certains négociants n’hésitent pas à recevoir leur clientèle dans des lieux improvisés, souvent dans des hôtels discrets, à l’abri des regards. Les affaires se concluent sur la parole. Aucun reçu ne signale ces transactions. L’an dernier, un Italien sur quatre a franchi la porte des Compro oro pour vendre des bijoux de famille, montres et tout objet en or, y compris ces petites médailles que les nouveaux-nés reçoivent en cadeau au baptême, une tradition dans un pays encore largement dominé par les usages catholiques. En contrepartie, quelques centaines d’euros en liquide sont venus secourir des familles en détresse. La crise de 2008 a accentué ce commerce privé d’or. Le chiffre d’affaires a de quoi donner le tournis: plus de 9 milliards d’euros par an. «Les boutiques Compro oro ont tissé des liens de connivence avec le crime organisé, comme l’ont révélé de nombreuses opérations de police, qui ont mis au jour des affaires d’évasion fiscale, d’usure, de recel et de blanchiment. C’est dire à quel point ce type de commerce est exposé aux infiltrations criminelles», analyse Ranieri Razzante, professeur en législation antiblanchiment de l’Université de Bologne, consultant auprès de la Commission parlementaire italienne antimafia, et président de l’Association italienne antiblanchiment.

Inquiète par cette évolution, la commune de Tradate, dans la province de Varese, près de la frontière tessinoise, a interdit en 2011 l’ouverture de nouveaux magasins, dans le but de «protéger les citoyens», peut-on lire dans l’ordonnance municipale, citée par Il Fatto Quotidiano, «contre une hausse incontrôlée de la criminalité, qui augmente proportionnellement à la diffusion et à la concentration de commerces Compro oro». Ces enseignes représentent le premier chaînon d’un réseau capillaire qui fonctionne comme un vaste collecteur de métal jaune. La multiplication de ces boutiques a eu pour effet de générer un surplus d’or dans le circuit commercial. Un excédent que l’orfèvrerie transalpine ne parvient plus à absorber. Par rapport à 1998, en Italie, la quantité d’or travaillé a baissé d’au moins un cinquième. Dans ces conditions, l’exportation représente le seul moyen pour écouler les stocks d’or non traité et donc invendu. Voilà pourquoi les quantités excédentaires prennent, légalement ou illégalement, le chemin de la Suisse, plateforme d’échange international la plus proche de l’Italie. La place tessinoise, en outre, abrite trois des fonderies les plus prisées de la planète — Argor-Heraeus, Valcambi et PAMP — autorisées à transformer les bagues, les colliers, les monnaies et autres objets en lingots, estampillés et garantis selon les normes internationales. Ces trois usines sont situées dans la région de Mendrisio, nommée depuis le «Triangle d’or», où transite la moitié de l’or extrait au niveau mondial.

 
Des sociétés (ici Pro Aurum) proposent de se charger des achats pour les clients italiens et de déposer les lingots dans le Port franc de Zurich. © Keystone / EPA / Andreas Gebert / Archives

Des sociétés (ici Pro Aurum) proposent de se charger des achats pour les clients italiens et de déposer les lingots dans le Port franc de Zurich. © Keystone / EPA / Andreas Gebert / Archives

 

Ce n’est pas tout. Des dizaines de sociétés internationales actives dans le commerce et le courtage de métaux précieux ont élu domicile à Lugano et à Chiasso. Nous avons contacté plusieurs de ces entreprises. Aucune n’a souhaité répondre à nos questions. L’une de celles-ci, basée à Chiasso, se trouve actuellement dans le collimateur des enquêteurs italiens, d’après L’Espresso et La Nazione. Ces journaux transalpins révèlent que cette société et son dirigeant, qui vit à Lugano, figurent dans des documents de l’enquête de la police italienne «Fort Knox» et se situeraient même, selon ces documents, au sommet de la pyramide. Le nom de ce dirigeant et la raison sociale de sa société étaient également apparus dans une autre enquête policière, menée par le Parquet de Côme.
Pour l’instant, les recherches sur cette société se poursuivent dans la discrétion entre l’Italie et la Suisse. Folco Galli, porte-parole de l’Office fédéral de justice (OFJ), confirme que la Suisse a reçu une commission rogatoire émanant des autorités italiennes, mais la Confédération n’a pas encore terminé son travail dans la procédure d’assistance judiciaire. À ce jour, aucune procédure judiciaire n’a été intentée contre les auteurs de ces trafics, ni au Tessin ni sur le plan fédéral.

Les investigations «Fort Knox» ont permis aux policiers italiens d’infiltrer le monde complexe et opaque des Compro oro, non sans succès. En automne 2012, les enquêteurs ont dévoilé l’existence d’une filière de blanchiment et de recel d’or. La récolte de bracelets, colliers, bagues, etc., s’intensifiait dans les districts d’Arezzo, Marcianise et Valenza, où se concentrait l’activité de fusion, puis de transformation des objets en barres d’or d’une taille de dix centimètres, facilement transportables. Ce type de lingots continue de passer clandestinement la frontière suisse dans les doubles fonds des coffres de voiture. Selon les investigateurs italiens, les barres d’or illégal sont transformées sur sol suisse en lingots nantis d’une carte d’identité et frappés d’un sceau indiquant leur nouvelle provenance. Les voilà menant une nouvelle vie, propre et légale. Ils sont ensuite réinjectés dans le marché, au noir, ni vu ni connu, par des voies contournant les circuits officiels.

Entre 2011 et 2012, près de 4500 kilos d’or auraient ainsi traversé la frontière suisse, avec une valeur de marché de plus de 170 millions d’euros. Une seule organisation criminelle aurait géré la quasi totalité de ce pactole, soit 163 millions d’euros, répartis dans cinq cent comptes bancaires. Cet argent a servi à huiler la machine pour récolter l’or en Italie et ensuite le faire transiter vers la Suisse. La structure de cette organisation était réglée comme une horloge. L’équipe de malfaiteurs comptait 118 membres, répartis en petits groupes. Certains se procuraient la matière première à travers les Compro oro; d’autres se chargeaient de la stocker; d’autres encore effectuaient les transports vers la Suisse. Chargé des enquêtes les plus complexes sur le trafic de l’or, le procureur Mariano Fadda avait mis au jour, entre 2006 et 2009, une autre affaire de contrebande de métal jaune pour une valeur de 90 millions d’euros, passé frauduleusement de l’Italie au Tessin. Les investigations avaient permis d’identifier les passeurs ou coursiers. Certains étaient des employés des raffineries tessinoises. Le cas le plus éclatant est celui de l’ex-directeur adjoint d’Argor-Heraeus, entreprise suisse active dans les métaux précieux et soupçonnée de blanchiment, en raison du raffinage d’or pillé de la République démocratique du Congo (RDC) en 2004 et 2005. Il voyageait avec 16 kilos d’or dissimulés dans sa voiture.

Il est crucial de comprendre comment l’or provenant du marché noir a pu être certifié et lavé de toute tache, retourner en Italie, ou terminer son périple dans le caveau d’une banque ayant légalement pignon sur rue. Dans les fonderies tessinoises, pour être admis comme client, il faut remplir divers formulaires, avoir un casier vierge, une bonne réputation et, surtout, prouver que l’or a une origine propre. Pour déjouer ces contrôles, les organisations criminelles ont dû faire levier sur des complices. Qui sont-ils? La question demeure pour l’heure sans réponse.

Jusqu’ici, au moins, les investigations policières ont mis en lumière un changement de paradigme. Avant de migrer vers l’Italie, le centre névralgique du commerce de l’or se situait en Suisse. Dans les années 1970, jusqu’à la fin des années 1990, l’or voyageait de la Suisse vers l’Italie. Et pour s’approvisionner, les orfèvres italiens faisaient appel aux contrebandiers... C’est durant ces deux décennies que les banques suisses ont investi le marché de l’or, les plus importantes d’entre elles contrôlaient directement les raffineries: Argor était une filiale de UBS, Valcambi de Crédit Suisse et Metalor, sise à Neuchâtel, appartenait à la Société de Banque Suisse (SBS). En 1968, ces trois instituts bancaires ont créé le Zurich Gold Pool qui, jusqu’au début des années 2000, était la principale place mondiale pour le commerce du métal jaune.

Ces dernières années, l’Italie est devenue l’un des plus grands exportateurs d’or du monde, voire le plus important. Ce n’est pas un hasard si le dernier sommet du LBMA (London Bullion Market Association), le lobby de l’affinage, s’est tenu l’automne dernier à Rome. Bien que, dans les années 1990, les grandes banques suisses aient abandonné leurs participations dans les raffineries, elles restent encore bien actives dans ce secteur, soit avec des participations dans des sociétés minières, soit en investissant directement dans le métal jaune. C’est que l’or constitue un refuge en temps de crise. «Durant les périodes de forte instabilité économique, les fonds d’investissement offrant des dépôts d’or sont à la mode. à cet égard, les banques helvétiques restent des acteurs incontournables sur le marché aurifère mondial», explique Sergio Rossi, professeur ordinaire de macroéconomie et économie monétaire à l’Université de Fribourg. «Attirés par les augmentations spectaculaires des prix observées durant les dix dernières années — de 340 dollars l’once en janvier 2003, à 2500 dollars l’once en décembre 2003, et un prix de 1900 dollars l’once en septembre 2011 —, les investisseurs privés italiens ont massivement acheté de l’or, après l’éclatement de la crise financière globale et systémique en 2008», rappelle-t-il.

L’explosion de la demande privée italienne a aussi contribué à alimenter le fleuve aurifère qui inonde le Tessin depuis quelques années. Préoccupés par le cours de l’euro, et motivés à tromper le fisc italien, les résidents de la Péninsule ont multiplié les achats de métal jaune sur la place tessinoise ces dernières années. «Il suffit de faire un tour à Lugano et Chiasso pour voir que, à côté du flux officiel d’or, il y en a un autre, parallèle, qui n’est pas enregistré par les statistiques nationales et qui est nourri par des transports plus ou moins petits, non quantifiables», expliquait déjà en 2011 Giuseppe Chiellino, journaliste du quotidien économique italien Il Sole 24Ore.

D’où l’apparition dans le canton du Tessin de sociétés proposant la location de coffres-forts avec des slogans comme celui-ci: «Nous offrons des services permettant la conservation de bijoux et métaux précieux en toute discrétion; sans aucun compte bancaire et sans aucune obligation d’échanger des informations avec les autorités d’autres pays.» D’autres entités — comme la Pro Aurum, société internationale ayant son siège en Allemagne et des filiales à Zurich et à Lugano — proposent, elles, de se charger des emplettes pour les clients italiens et de déposer les lingots dans un coffre-fort loué dans un port franc de Zurich. Où les «frais de garde» se montent à 0,75% de la valeur du métal jaune. On peut déposer et revendre de l’or à l’intérieur des ces zones bénéficiant d’un statut fiscal spécial. La seule condition? Il faut assurer une valeur plancher. Par exemple, le port franc de Zurich n’accepte pas de dépôt en or inférieur à 25 000 francs suisses. Le secret bancaire suisse est mort, dit-on. Vive le secret doré des ports francs!

 
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La Suisse dans la constellation européenne du gaz

12 avril 2013

Un consortium helvético-norvégien est en lice pour construire un gazoduc reliant la Turquie à l’Europe. L’envers du décor montre les intérêts croisés entre les producteurs suisses et la politique énergétique de la Confédération.

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Un consortium helvético-norvégien est en lice pour construire un gazoduc reliant la Turquie à l’Europe. L’envers du décor montre les intérêts croisés entre les producteurs suisses et la politique énergétique de la Confédération.

 

Federico Franchini 12 avril 2013

L’enjeu est colossal. C’est une affaire de plusieurs milliards de francs mais aussi d’importance stratégique: garantir la diversification de l’approvisionnement en gaz de l’Europe. Qui remportera l’appel d’offre pour construire le gazoduc qui, à partir du 2018, acheminera vers le Vieux Continent l’or gris en provenance du gisement de Shah Deniz, en Azerbaïdjan? C’est une question à 30 milliards de mètres cubes de gaz par an, une manne énergétique qui réduirait massivement la dépendance de la Russie, qui tient la haute main sur le robinet qui inonde l’Europe.
L’acheminement du gaz sera d’abord pris en charge par le gazoduc Trans Anatolian Pipeline (TANAP), qui sera réalisé avant 2017 par l’entreprise azérie Socar. Cette première liaison reliera la mer Caspienne aux frontières occidentales de la Turquie. Depuis là, un deuxième pipeline poursuivra sa course jusqu’en Europe. Mais la route pour y parvenir reste encore à tracer. À l’heure actuelle, deux consortiums sont en lice1. D’un côté, le géant Nabucco, composé de quatre sociétés européennes et d’une société turque2, un projet soutenu politiquement et financièrement par l’Union européenne (UE). Ce gazoduc aboutirait à Baumgarten, en Autriche, après avoir traversé la Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie.

L’autre projet dans les starting-blocks est le Trans Adriatic Pipeline (TAP), parrainé par le groupe helvétique Axpo et la compagnie norvégienne Statoil3. Ce pipeline acheminerait le gaz jusqu’à San Foca, dans les Pouilles, après un parcours à travers la Grèce, l’Albanie et la mer Adriatique. Ce projet est porté par la Suisse et la Norvège, ainsi que par les trois pays méditerranéens concernés. L’heure de vérité pourrait bientôt sonner, la décision devant en principe tomber avant le mois de juin prochain. Mais le consortium gérant le gisement de Shah Deniz4 a déjà fait savoir qu’il prendra le temps nécessaire pour évaluer lequel des deux projets concurrents est le plus avantageux. Les deux adversaires entrent dans la phase finale d’un parcours qui a duré une bonne dizaine d’années. Chacun est en train de déplacer ses pions sur l’échiquier d’une partie de plus en plus frénétique, en graissant les nécessaires rouages politiques et économiques. Le 10 janvier dernier, Nabucco a offert aux sociétés qui gèrent Shah Deniz une participation de 50% dans son capital. La réponse de TAP n’a pas tardé. Le 22 janvier, le consortium helvético-norvégien a avancé la même offre: 50% de son capital aux entités gérant le gisement azéri. Considéré comme le projet le plus direct et le plus raisonnable, le TAP a fait la course en tête l’année dernière.

 
© Keystone / AP photo / Petar Petrov / Archives

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Le 4 mars dernier, Nabucco semblait avoir rattrapé le retard en annonçant la signature d’un mémorandum d’entente avec le consortium qui gère le gazoduc TANAP (qui garantirait le transport du gaz jusqu’à la frontière occidentale de la Turquie). Un accord qui ne perturbe pas Michael Hoffmann, directeur des relations extérieures du consortium helvético-norvégien: «Nous ne sommes pas touchés par ces évolutions. En novembre, TAP a été le premier à signer un accord similaire avec TANAP.» Il ne reste qu’à attendre le prochain coup, dans une partie dont l’issue reste de plus en plus incertaine. De nouveaux rebondissements ne sont pas à exclure.

La diversification de l’approvisionnement en gaz est considérée comme une priorité de la politique énergétique européenne. Avec les avantages économiques (avec notamment la diminution du prix du gaz), le nouvel axe gazier constituerait la réponse de l’Europe à la Russie, qui n’hésite pas à utiliser ses ressources gazières comme une arme géostratégique. Au commissaire européen de l’énergie, Günther Oettinger, quelques mots suffisent pour expliquer l’enjeu de la manœuvre: «Sans sécurité énergétique, il n’y a pas de sécurité nationale.»

L’UE, qui importe le 34% de son gaz de la Russie, n’oublie pas les crises de 2006 et 2009, lorsque, pour punir les sympathies pro-européennes de l’Ukraine, la Russie coupa ses livraisons de gaz. En quelques heures, de nombreux pays européens ont été frappés par une diminution drastique des importations. Les pays de l’Europe de l’Est grelottaient littéralement sous le diktat russe. Mais la crise a eu également ses répercussions en France, en Allemagne et en Italie. Sous le contrôle du Kremlin, Gazprom incarne la domination russe sur le marché de l’énergie, notamment par son monopole sur les pipeline reliant l’Asie centrale, la Russie et l’Europe. Tout le gaz provenant de l’Ouzbékistan, du Turkménistan ou du Kazakhstan, et destiné au marché européen, transite par des gazoducs appartenant à Gazprom, garantissant à Moscou un poids géopolitique démesuré. Insatiable, la Russie est en train de réaliser de nouvelles infrastructures pour augmenter la dépendance de l’Europe vis-à-vis de ses sources en gaz.

Reliant la Russie à l’Allemagne en coupant par la Baltique, le gazoduc Nordstream a à cet effet été mis en service en novembre 2011. En snobant la Pologne et les pays baltes, cette liaison a créé des tensions au sein de l’UE. La France et l’Allemagne5 ont agi en cavaliers seuls, en soutenant ce gazoduc en échange de provisions directes. Cela malgré l’opposition de la Commission européenne. En septembre dernier, Bruxelles a ouvert une procédure visant Gazprom, qu’elle soupçonne d’«entrave à la concurrence sur les marchés du gaz en Europe centrale et orientale»6. Pour le consultant indépendant Matteo Cazzulani, la stratégie est claire: «Gazprom veut diviser l’Europe et garder son leadership gazier.» C’est pourquoi, selon cet expert, la Russie développe à marche forcée le projet de gazoduc Southstream7 qui vise à transporter, via la mer Noire, des milliards de mètres cubes de gaz russe en Autriche et en Italie. Lancé au milieu des années 2000, pour tuer dans l’œuf le concurrent Nabucco promu par la Commission de Bruxelles, le gazoduc Southstream s’est pourtant assuré dusoutien des géants francais (EDF), italien (ENI) et allemand (BASF).

 
© Keystone / /EPA / Wintershall / Archives

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Né en 2003 par la volonté d’Elektrizitäts-Gesellschaft Laufenburg AG (EGL), une filiale d’Axpo active surtout dans le trading d’électricité et du gaz, le projet helvético-norvégien s’invite dans la guerre homérique des pipeline. Après une étude de faisabilité favorable, la compagnie d’état norvégienne Statoil fait en 2008 son entrée dans le projet. Les deux sociétés créaient ainsi le consortium TAP AG, basé à Zoug8, auquel l’entreprise allemand E.ON se joindra en 2010. La première fois que l’opinion publique helvétique a pris connaissance de ce projet a été en mars 2008. On se souvient des images de Micheline Calmy-Rey, souriante et voilée, lors d’une rencontre avec le président iranien Ahmadinejad à Téhéran. Le port du voile qui couvrait la tête de la conseillère fédérale a fait l’objet de critiques sévères en Suisse. Mais ce n’est pas ce fameux tissu qui fait sursauter les diplomaties occidentales. Les états-Unis sont indignés par le contrat milliardaire signé par la société suisse EGL et la compagnie étatique iranienne NIGEC. L’accord prévoyait le transport de 5,5 milliards de mètres cubes de gaz par an, pour une durée de vingt-cinq ans. Ce n’était pas un mystère que ce contrat avait officiellement reçu le soutien du Conseil fédéral.
Le communiqué de presse du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) indiquait en ces termes les motifs: «La Suisse a un intérêt stratégique à diversifier ses voies d’approvisionnement en gaz. Du point de vue économique également, il est dans son intérêt de soutenir les entreprises suisses dans un secteur stratégiquement aussi crucial que celui de l’énergie.» Pour la première fois, la Confédération évoquait la construction du gazoduc: «Il est prévu que du gaz naturel iranien et du gaz naturel azerbaïdjanais alimentent un jour un gazoduc reliant la Grèce à l’Italie via l’Albanie […].» Le voyage à Téhéran de Micheline Calmy-Rey et la supervision officielle de la Confédération à la signature du contrat gazier fut le point culminant d’une crise diplomatique majeure entre les états-Unis et la Suisse. Des câbles de Wikileaks ont prouvé que Washington a vertement critiqué l’accord irano-suisse et exercé d’énormes pressions pour que celui-ci ne soit pas signé.

La Suisse a d’abord résisté. Fin 2009, dans son rapport annuel sur la politique extérieure, le Conseil fédéral défendait un contrat «conforme au droit international», en évoquant l’objectif «d’approvisionner durablement ce gazoduc» 9. Mais, en 2010, c’est le coup de théâtre. Le 15 septembre, TAP communique que l’éventuel futur gazoduc ne transporterait pas le gaz iranien. Un mois plus tard, EGL annonçait la suspension du contrat. En janvier 2011, le Conseil fédéral, qui s’était démarqué de la position intransigeante des états-Unis et de l’UE à l’égard de l’Iran (à cause de la crise de l’uranium enrichi), décidera, lui aussi, de renforcer les sanctions économiques contre Téhéran. Après avoir abandonné la piste iranienne, voilà que la Confédération se tourne vers l’Azerbaïdjan, ce petit état autocratique de l’Asie centrale qui est désormais devenu l’un des piliers de la politique énergétique extérieure de la Suisse10. Ces dernières années, les autorités ont tissé d’importantes relations diplomatiques et énergétiques avec ce pays que la Suisse représente au sein du groupe surnommé Helvetistan, lors des procédures de vote au Fonds monétaire international (FMI).
En novembre 2011, accompagnée par Hans Schulz, directeur général d’EGL, Doris Leuthard a été le troisième conseiller fédéral à visiter Bakou en un peu plus d’une année. L’un des objectifs cette visite était de manifester le soutien suisse à la réalisation du TAP (11). Trois mois auparavant, la conseillère fédérale chargée de l’énergie était en Turquie, pays stratégique avec lequel il fallait négocier un accord de transit pour le gaz. Enfin, au mois de janvier dernier, Walter Steinmann, directeur de l’Office fédérale de l’énergie (OFEN) a effectué une visite officielle à Bakou. Pour l’occasion, le Conseil fédéral a conféré à Steinmann le titre de Secrétaire d’État. Michael Hoffmann, représentant de TAP, souligne l’importance de ce geste: «Le gouvernement suisse a toujours fourni un fort soutien au projet TAP. Ce soutien a été crucial pour le succès de notre projet. L’inclusion du TAP dans l’agenda prioritaire du Conseil fédéral a permis de faire augmenter l’importance du projet parmi les autres principaux partenaires politiques impliqués

En 2007, la conseillère nationale puis aux États Christine Egerszegi (du Parti démocrate-chrétien, PDC) crée le groupe parlementaire Suisse-Azerbaïdjan, qui demeurera inactif, comme le révèle la TagesWoche12, jusqu’à ce que l’ambassade azérie en Suisse fasse pression pour qu’il relance ses activités. Le groupe, qui se veut informel, se bornant officiellement à développer l’amitié entre les deux pays, est suivi de près par les milieux énergétiques, en particulier par les promoteurs du TAP. Un document publié sur le site du Service du parlement fédéral montre que le secrétariat du groupe est directement géré par Axpo, via sa filiale de Baden13.

 
© Keystone / EPA / Sergey Dolzhenko / Archives

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Lorsqu’il fallait défendre l’accord avec Téhéran, le Conseil fédéral soutenait que celui-ci profitait aux intérêts stratégiques de la Suisse, avec l’argument habituel de la nécessaire diversification de son approvisionnement gazier. A l’époque, les spécialistes du secteur de l’énergie exprimaient déjà leur scepticisme: on ne voyait pas l’intérêt d’acheter du gaz qui, dans les faits, ne parviendrait jamais en Suisse.

Selon des experts, face aux nouveaux besoins induits par la sortie du nucléaire, l’investissement en Azerbaïdjan n’apporterait non plus aucun progrès. Pour Ruedi Rohrbach, directeur de Swissgas, organisation qui achète du gaz naturel pour le compte de quatre sociétés régionales de distribution, il n’y a pas de besoin immédiat de se procurer du gaz depuis l’Azerbaïdjan: «Les provisions suisses se basent sur un mix très fiable et sur une bonne diversification (deux tiers du gaz provenant par exemple de l’UE ou de la Norvège: ndlr). Ces sources nous permettent de disposer d’une quantité suffisante, même en considérant la construction d’éventuelles futures centrales à gaz sur le territoire helvétique.»

A la différence de nombre de pays européens, la Suisse échappe à la stratégie agressive de Gazprom. Car la Confédération a, comme le rappelle Ruedi Rohrbach, su diversifier ses sources d’approvisionnement. Le gaz représente 12% de l’énergie consommée dans le pays, dont seulement un quart provient de Russie.

En répondant à l’interpellation parlementaire du Zurichois Ulrich Schlüer (de l’Union démocratique du centre, UDC), le Conseil fédéral certifiait que «le conflit gazier de 2009 — tout comme celui de 2006 — n’avait eu à aucun moment une incidence directe sur la Suisse»14. Comment se fait-il alors que, dans le tout récent rapport sur la Stratégie énergétique 2050 15, le gouvernement continue d’évoquer le conflit gazier russo-ukrainien pour justifier, dans le cadre de sa politique extérieure, son soutien au TAP?

Pour le porte-parole de l’OFEN, Matthieu Buchs, il ne faut pas considérer l’approvisionnement en matière énergétique comme une tâche uniquement nationale: «Nous n’avons en Suisse pas la possibilité de stocker du gaz en quantité suffisamment importante, et nous avons donc besoin de collaborer avec l’Europe. L’ouverture d’un corridor gazier supplémentaire par le sud de l’Europe constitue une contribution décisive à la diversification de l’offre et à la sécurité de l’approvisionnement en Europe et, de ce fait, en Suisse également.» «La part de gaz naturel suisse est destinée à alimenter nos centrales à cycle combiné en Italie et à la commercialisation à des clients industriels aussi en Suisse», concède de son côté Richard Rogers, porte-parole d’Axpo. Le groupe alémanique possède des participations dans trois centrales à gaz (cycle combiné) en Italie 16. Ces dernières ont été acquises au début des années 2000 par EGL.

C’était l’époque où cette entreprise, mais également les autres principaux groupes électriques suisses (Alpiq, FMB, Repower, etc.) ont investi dans les centrales fossiles en Europe, avec des résultats douteux. Ce n’est alors pas un hasard si, en 2003, la société zurichoise manifeste sa volonté de construire le gazoduc trans-adriatique. Et ce n’est peut-être pas un hasard non plus si, entre 2002 et 2006, l’actuelle ministre de l’énergie, Doris Leuthard, siégeait dans le conseil d’administration d’EGL.

Et si la Confédération soutenait le TAP non pas pour des raisons de sécurité énergétique mais pour aider Axpo et ses centrales à gaz? Ce pipeline permettrait en effet de fournir les centrales italiennes de gaz à prix cassé par rapport au coût qu’Axpo doit payer sur le marché italien ou directement à Gazprom. Avec le gaz azéri, la pression économique qui écrase actuellement Axpo (La Cité n°10 / An II) se relâcherait. «Il est vrai que le projet est très important pour Axpo. Mais il l’est également pour la Suisse et l’Europe. Le TAP offre la liaison la plus directe pour acheminer en Europe le gaz naturel depuis la région caspienne. De ce fait, il contribuera à la diversification du portefeuille de gaz naturel et à la sécurité d’approvisionnement de l’Europe et, de ce fait, de la Suisse. Le soutien du Conseil fédéral, il faut l’analyser sous cet aspect-là», rétorque Richard Rogers.

En 2012, les entreprises suisses détenaient des participations dans seize centrales à gaz en Italie. Toutefois, les investissements italiens effectués ces dernières années n’ont pas été aussi rentables que prévu. Alpiq a déjà vendu ses participations tandis que les Forces motrices bernoises (FMB) annoncent, dans le rapport annuel 2012, que les centrales à gaz de Livorno Ferraris et de Tamarete ont généré des charges exceptionnelles 17.

Des centaines de millions ont été investis au cours des dix dernières années dans les centrales italiennes. Axpo produit, avec le gaz italien, environ 7000 gigawattheures d’électricité. Cela équivaut presque à la production d’électricité des trois plus anciennes centrales nucléaires en Suisse. Le soutien à un gazoduc et donc à des centrales à gaz à l’étranger pose des questions de nature écologique. Pierrette Rey, du WWF Suisse, rappelle qu’«au niveau international, le gouvernement suisse s’est engagé à respecter l’objectif de limiter le réchauffement climatique, mais dans la pratique, la Suisse fait le contraire en s’engageant en faveur de ce gazoduc.

À cela s’ajoute la situation des droits de l’Homme, préoccupante en Azerbaïdjan. Ce n’est donc pas une bonne idée que la Suisse y fasse du lobbying pour un groupe énergétique18».  Sans oublier les perspectives et les analyses d’experts indiquant que l’électricité produite par les énergies renouvelables sera à terme moins chère que celle fournie par les centrales à gaz.


1. En 2012, deux projets, l’italo-grec ITGI et le South East Europe Pipeline, ont été écartés.

2. Le consortium Nabucco est détenu par Bulgarian Energy Holding (Bulgarie), FGSZ (Hongrie), OMV (Autriche), Transgaz (Roumanie) et Botas (Turquie).

3. Axpo et Statoil possèdent le 42,2% de TAP, le 15,6% étant entre les mains du géant allemand E.ON.

4. Formé par le colosse britannique British Petroleum (BP), par la société azérie Socar, la norvégienne Statoil, la russo-italienne LukAgip et par la turque TPAO.

5. Il convient de rappeler que l’ex-chancelier allemand social démocrate Gerhard Schröder a été nommé en 2005 par Gazprom à la présidence du conseil de surveillance du consortium Northstream.

6. http://europa.eu/rapid/press-release_IP-12-937_en.htm? locale=en

7. Le consortium de construction des gazoducs Northstream et Southstream ont leur siège en Suisse, à Zoug. L’actionnariat de Northstreamest partagé entre: Gazprom 51%, Wintershall Holding Gmbh (BASF, Allemagne) 15,5%, E.ON (Allemagne), 15,5%, GDF SUEZ (France) 9% et Gasunie (Hollande) 9%. La capital de Southstream se répartit de la manière suivante: Gazprom 50%, ENI (Italie) 20%, EDF Groupe (France) 15%  et Wintershall Holding Gmbh (BASF, Allemagne) 15%.

8. Si TAP a choisi le canton de la Suisse centrale comme siège du consortium, Nabucco a établi le sien à Vienne: http://www.eda.admin.ch/eda/fr/home/recent/media/single.html?id=17831

9. […] La Suisse soutient officiellement le projet TAP, auquel participe la société suisse EGL, qui appartient au groupe Axpo, ainsi que l’entreprise norvégienne StatoilHydro. Ce projet prévoit l’ouverture d’un nouveau couloir d’approvisionnement [...], dans le but de diversifier l’approvisionnement en gaz en Europe et, partant, en Suisse. [...] Afin d’approvisionner durablement ce gazoduc, un contrat de livraison de gaz naturel a été conclu en mars 2008 entre EGL et NIGEC. Ce contrat est conforme au droit international et aux résolutions émises par l’ONU en la matière. En appuyant ce projet, la Suisse défend directement ses propres intérêts, puisque l’ouverture d’un quatrième couloir gazier contribuera à améliorer l’approvisionnement en Europe et, par conséquent, en Suisse aussi. Le dernier conflit gazier en date ainsi que ses répercussions sur un certain nombre de pays européens ont clairement mis en évidence l’importance de la stratégie suisse qui, avec le projet TAP, mise clairement sur la diversification.  http://www.admin.ch/ch/f/ff/2009/5673.pdf

10. Depuis l’Azerbaïdjan provient environ le 30% du brut importé en Suisse.

11. http://www.uvek.admin.ch/dokumentation/00474/00492/index.html?lang=fr&msg-id=42212

12. http://www.tageswoche.ch/de/2013_03/schweiz/500938/eine-schachtel-pralines-fuer-gas-aus-baku.htm

13. http://www.parlament.ch/d/organe-mitglieder/bundesversammlung/adressen-websites-fotos/Documents/parlamentarische-gruppen.pdf

14. http://www.parlament.ch/f/suche/pages/biografie.aspx?biografie_id=352

15. Suite à la crise russo-ukrainienne en 2009, l’Union européenne (UE) a constitué un «Groupe de coordination pour le gaz», qui assumera un rôle central à l’avenir pour maîtriser les situations de crise. De plus, à la fin de 2011, un nouveau règlement concernant l’approvisionnement en gaz naturel est entré en vigueur. L’objectif central de ce règlement réside dans la coordination, à l’échelle de l’UE, des plans d’urgence nationaux, lorsque les situations de crise ne peuvent plus être résolues par les mécanismes du marché. Dans ce contexte, les pays tiers ne seront pris en compte qu’en deuxième priorité en cas de crise, ce qui pourrait constituer un désavantage en matière d’approvisionnement également pour la Suisse. La Confédération examine une participation de la Suisse au mécanisme de crise de l’UE dans le domaine gazier. Afin de continuer d’augmenter la sécurité d’approvisionnement en gaz, il convient en outre de diversifier davantageles canaux d’approvisionnement. C’est pourquoi la Suisse soutient le projet Trans Adriatic Pipeline (TAP) dans le cadre de sa politique énergétique extérieure. À partir de 2017, ce projet doit permettre de transporter du gaz naturel en provenance d’Azerbaïdjan, en passant par la Grèce et l’Albanie, vers l’Italie et puis vers la Suisse: http://www.admin.ch/ch/f/gg/pc/documents/2210/Strategie-energetique-2050_Rapport-expl_fr.pdf

16. Notamment à Sparanise, en Campanie (La Cité n° 4 et n° 7/An II), Rizziconi, en Calabre, et à Ferrara, en Emilie-Romagne.

17. «BKW achète l’électricité produite dans ces installations au prix de revient. Or d’après une estimation actualisée de l’évolution du marché, les prix de revient de ces centrales devraient être à l’avenir supérieurs aux prix de marché réalisables, en dépit des provisions déjà constituées au cours de l’exercice précédent.» http://www.bkw-fmb.ch/etc/ml/repository/3_0_Ueber_uns/Unternehmen/investor_relations/download/finanzberichte/130314_bkw_webpdf_84.Download.pdf

18. Matthieu Buchs, de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN): «La position du Conseil fédéral, dans le cadre de la stratégie énergétique 2050, est claire en la matière. En renonçant au nucléaire, il sera nécessaire de développer temporairement la production d’électricité fossile jusqu’à ce que les besoins énergétiques puissent être intégralement couverts par les énergies renouvelables. Toutefois, le Conseil fédéral entend aussi respecter les objectifs qu’il s’est fixé en matière de politique climatique.»

 
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Le renversant train de vie du crowdfunding

22 février 2013

En dix ans, le «financement participatif» est devenu un moyen alternatif au système traditionnel dominé par les banques. Mais ses mirifiques succès sont ternis par des affaires d’abus de confiance. L’année 2013 s’annonce décisive.

Amanda Palmer a financé le premier album de son groupe, le Grand Theft Orchestra (ici à Berlin) grâce au crowdfunding. Mais elle avait utilisé une partie de l’argent à des fins personnelles. ©Keystone / AP Photo / Adam Berry / 14 juin 2012

Amanda Palmer a financé le premier album de son groupe, le Grand Theft Orchestra (ici à Berlin) grâce au crowdfunding. Mais elle avait utilisé une partie de l’argent à des fins personnelles. ©Keystone / AP Photo / Adam Berry / 14 juin 2012

 

En dix ans, le «financement participatif» est devenu un moyen alternatif au système traditionnel dominé par les banques. Mais ses mirifiques succès sont ternis par des affaires d’abus de confiance. L’année 2013 s’annonce décisive.

 

Luca Marti 22 février 2013

Les cérémonies des Oscars de 2011 et 2012, ont été les témoins d’un vent de renouveau, à travers une particularité imperceptible, mais dont l’impact est de taille: deux des films nominés — quoique non récompensés — ont été réalisés avec un budget réuni à l’aide du crowdfunding ou financement participatif. Sun Come Up et Incident In New Baghdad ont lancé leur campagne de financement sur le site kickstarter.com, spécialisé dans le crowdfunding, qui offre à n’importe quel entrepreneur, sans même aucune connaissance de l’informatique, l’opportunité de créer une plateforme pour un projet quel qu’il soit, du film à l’opéra, en passant par les jeux vidéos et la musique.
L’année 2013 commence avec une explosion de la popularité du «financement participatif» auquel, à ses débuts, un tel avenir n’aurait jamais été envisagé. Cette pratique, qui fait ses premiers pas en 2003 dans le domaine de la musique, avec le site artistshare.com, et qui permet aux internautes de financer la création d’un album sans avoir recours aux labels, déclenche un mécanisme de financement révolutionnaire. Le site indiegogo.com, à sa création en 2008, étend cette pratique innovante, qui laisse aux consommateurs un plus grand contrôle sur leurs futurs achats, aux domaines du cinéma, de la mode, et à bien d’autres catégories. Mais la popularité arrivera avec kickstarter.com, qui reprend tous les concepts d’indiegogo.com, si ce n’est qu’il interdit les projets de charité.
C’est sous l’impulsion de kickstarter.com que le crowdfunding deviendra un moyen alternatif à l’investissement traditionnel dominé par les banques. Avec des effets plutôt surprenants: le projet de l’entreprise Pebble Technology, une montre offrant les mêmes capacités qu’un smartphone, réunira un financement supérieur de 10 000% par rapport à son but initial: son budget atteindra ainsi la somme inespérée de 10 266 845 dollars.

Bien qu’il existe des pratiques de financement participatif plus traditionnel, avec retour sur investissement, le système du crowdfunding n’escompte généralement pas de profit: les créateurs proposent des paliers d’investissement, pour lesquels les récompenses augmentent avec le capital investi — et qui, la plupart du temps, englobent le fruit de la réalisation des projets eux-mêmes. La recherche de fonds pour la console de jeux vidéos Ouya, ciblée sur le développement amateur et financée à hauteur de 8,5 millions de dollars, proposait à ses financiers d’un nouveau genre des paliers allant de 10 à 10 000 dollars, avec une multitude de compensations: la console elle-même n’était, cependant, offerte qu’à ceux qui investissaient plus de 95 dollars. Cette manière de procéder offre la possibilité de soutenir un projet avec pour ambition la simple satisfaction de le voir réussir.

D’une part, l’idéologie philanthropique derrière cette méthode de financement a permis la réalisation de nombreux espaces publics, et autres espaces culturels, dont, entre autres, un musée Tesla — dont le crowdfunding a été dirigé par Matthew Inman, un dessinateur humoristique américain —, un parc érigé dans une station de tramway new-yorkaise, ou encore un très ordinaire arrêt de bus dans la ville d’Athens, en Géorgie. D’autre part, le financement participatif a donné un nouvel élan aux campagnes caritatives. La facilité du bouche-à-oreille incessant sur internet peut être source de succès inattendus dans ce domaine. En juin 2012, une vidéo publiée sur YouTube montrait une surveillante de bus scolaire de soixante-huit ans, Karen H. Klein, en sanglots, brimée et insultée par des adolescents. L’extrait, filmé à l’insu des jeunes garçons, à l’aide d’un téléphone portable, s’est répandu à travers le web comme une traînée de poudre.

La publication de nouvelles informations sur la monitrice malmenée, dont la situation financière précaire et son veuvage de plus de dix ans, mène à la création d’une campagne sur le site indiegogo.com, dont le but est très simple: Lets Give Karen — The bus monitor — H Klein A Vacation! (Pour que Karen H. Klein se paye des vacances!). Max Sidorov, un citoyen sans expérience dans ce genre d’opération, est le responsable de cette campagne. Il déclare sur la page qu’après avoir eu le cœur brisé par la vidéo, il aurait immédiatement pensé à faire appel à la bonté des internautes, pour offrir à la surveillante de bus des vacances «qu’elle n’oubliera jamais». L’idée charitable, qui mise au départ sur un montant de 5000 dollars, atteint des proportions gigantesques. Max Sidonov se retrouve avec un budget de vacances de plus de 700 000 dollars. La famille Klein décide, après des vacances très discrètes et à la destination non divulguée, de mettre cet argent à profit pour créer une association contre ce genre d’humiliations.

Mais ce genre d’actualité, exemple du meilleur que le financement participatif puisse donner, trouve son contraire à travers les multiples affaires d’abus de confiance, ou de simple manque de professionnalisme de la part des crowdfunders. Amanda Palmer, musicienne de longue date basée à Boston, s’est laissée prendre au jeu l’an dernier, en lançant une campagne permettant de couvrir les frais de sonpremier album de son nouveau groupe, le Grand Theft Orchestra. Le financement, au succès retentissant, rapporte environ 1,2 million de dollars à l’artiste. Une fois le disque enregistré, elle se met en route pour accomplir la seconde partie de son plan, à  savoir une «tournée mondiale».

Dès les premiers jours, alors que sa popularité est au plus haut et que son website est consulté par des milliers d’intéressés, Amanda Palmer y publie une annonce, priant les musiciens locaux des villes que le Grand Theft Orchestra doit visiter durant sa tournée de venir jouer pour celui-ci... gratuitement. Plus rapidement que l’on puisse prononcer la formule «abus de biens sociaux», des internautes consciencieux comprennent que si l’artiste n’a pas proposé de rétribution, c’est parce qu’elle a dépensé l’intégralité de ses fonds, alors qu’elle aurait dû financer, en plus de la production de l’album et des produits dérivés, la totalité de sa tournée.

Amanda Palmer est mise à mal. L’affaire prend de l’ampleur lorsque des spécialistes du domaine musical examinent les chiffres de coûts de production établis par la chanteuse. Selon Standard Vinyl, une compagnie d’impression de vinyl et autres supports musicaux, ceux-ci ont été «hautement surévalués». Amanda Palmer estime, sur sa page kickstarter.com, le prix du pressage de ses 7000 CD à hauteur de 105 000 dollars, alors que Standard Vinyl indique, sur le site Gawker, que le coût d’une telle commande revient, selon leurs tarifs, à 9 000 dollars. Son combat perdu d’avance contre les médias, l’artiste finit par s’excuser, accepte de payer les musiciens, et admet avoir utilisé une partie du financement à des fins personnelles.

Cet exemple de mauvaise comptabilité et de gestion hasardeuse n’est pas isolé dans le financement participatif — d’une part à cause du manque de sérieux accordé aux plateformes de financement, et d’autre part, en raison de l’absence de vérification préalable des campagnes. Les créateurs ayant recours au crowdfunding ont bien souvent moins besoin de faire valoir leurs références que leurs contreparties de la finance traditionnelle. Il est ainsi bien plus facile de se présenter ouvertement comme amateur sur indiegogo.com que dans un institut de financement classique... L’importance de la communication, où tout doit être mis sur la table pour pousser l’internaute à débourser, a motivé certaines pratiques frauduleuses. Le développeur de jeux vidéos Obsidian Studios, une marque très respectée, rapporte à cet effet que certaines entreprises auraient sollicité la possibilité d’utiliser le nom du studio comme créateur de leur campagne, dans le but d’obtenir la publicité venant de la qualité habituellement associée à celui-ci.

Mais certains «incidents» prouvent qu’un nom forçant le respect n’est pas preuve d’infaillibilité. Josh Dibb, un membre du groupe Animal Collective, encensé par la critique pour plusieurs de ses albums, avait lancé une campagne pour financer, d’une part un voyage au «festival au désert» au Mali, puis un concert et un album sur les lieux. Après un succès peu éclatant, mais d’une valeur de 25 985 dollars, les fonds sont réunis fin 2009. Puis, pendant trois ans, rien. Exceptées les justifications répétées du musicien. Début 2013, Josh Dibb annonce que le capital a été versé au Temedt, une organisation de charité malienne. Mais cela ne calme pas les investisseurs 2.0: aucun produit, dont l’album prévu et les artbooks, n’a été distribué, même si Josh Dibb promet que ceux-ci verront bien le jour.

La controverse qui entoure les abus de confiance découle de la mauvaise interprétation que font nombre d’internautes du système de financement participatif. Avec l’idée que les websites accueillant les campagnes de crowdfunding sont de grands magasins dématérialisés, mais que les produits présentés sont tenus comme finalisés et prêts à être commercialisés. La tendance qu’ont les crowdfunders à présenter des prototypes qui semblent presque aboutis, couplée au manque de recherche et aux conclusions hâtives dont les internautes raffolent, crée artificiellement une perspective bien moins expérimentale et bancale que ce que les statistiques tendent à prouver.

Le professeur Ethan Mollick, de la Wharton School of the University of Pennsylvania, estime que trois-quarts des projets vont atteindre un retard atteignant jusqu’à huit mois avant d’être achevés — bien loin du quart d’heure nécessaire pour aller faire ses courses au magasin local. Ces mises en garde étant peu répandues sur la plupart des sites, l’ignorance des rouages du système a ainsi bien souvent conduit des rêves d’entrepreneurs au désastre.

Seth Quest commence, à la mi-2011, à travailler sur un prototype de gadget pour iPad. Après avoir dépassé de loin sa date limite et admis devant ses contributeurs qu’il ne pourrait pas tenir ses promesses — tout en leur proposant un remboursement, il se prépare à revoir ses ambitions à la baisse, et à adopter une stratégie plus réaliste par rapport à l’industrie de la manufacture. Au même moment, Neil Singh, avocat et commanditaire du projet, ayant cru que celui-ci était déjà réalisé et qu’il recevrait son gadget sur-le-champ, décide de poursuivre Seth Quest en justice. Après une longue procédure, ce dernier perd et se retrouve ruiné. Il essaie désormais de reconstruire sa vie au Costa Rica.

Ces dysfonctionnements ont quelque peu entaché la réputation du financement participatif, qui, parti avec un soutien optimiste et inconditionnel, a trouvé ses détracteurs parmi ses investisseurs. Mais la machine ne ralentit pas pour autant: en 2012,  trois milliards de dollars ont été investis à travers plus de 450 plateformes — soit le double de l’année précédente. Si les succès de 2012 peuvent donner l’illusion d’être la preuve de la viabilité du modèle, l’année 2013 s’annonce décisive.

Des projets d’une toute autre envergure, les plus financés de l’histoire du crowdfunding, arrivent à échéance dans les mois à venir, et représenteront sans doute un «rite de confirmation» pour les plateformes financières. Le fabricant de la montre high-tech Pebble a commencé à livrer ses premiers modèles le 24 janvier dernier. The Goon, film d’animation le plus soutenu de sa catégorie, à hauteur de 400 000 dollars, tiendra sa première séance cet été.

La FORM-1, projet d’imprimante 3D bon marché, devrait être mise en vente au niveau international en mars prochain. Finalement, To Be Or Not To Be: That Is The Adventure, reprise de Hamlet sous la forme du «livre-dont-vous-êtes-le-héros», dont le budget dépasse 500 000 dollars (initialement 20 000 dollars), verra ses premières copies en magasin vers mai prochain. Les prédictions, pour cette année, vont des annonces catastrophiques aux promesses de croissance mirifique. Mais le crowdfunding, qui utilise la confiance comme monnaie plus que toute autre place financière, semble bien trop imprévisible pour que des prophéties de ruine ou de richesse soient prises au sérieux.

Quoiqu’il en soit de l’avenir du financement participatif, qu’il finisse parmi les utopies abusées par les tricheurs, ou qu’il devienne un pilier de l’économie moderne, son futur proche dépendra largement de la persévérance des entrepreneurs-pionniers, qui, cette année encore, devront continuer, à travers leurs réussites, à donner au crowdfunding son image d’usine à rêves.

 

 
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Alpiq, la chute d’un géant

8 février 2013

Le leader suisse de l’énergie traverse une crise financière aiguë. Ses déboires pourraient pénaliser les cantons et les villes romandes qui détiennent des parts dans son capital. Une crise qui reflète celle de l’ensemble du secteur.

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Le leader suisse de l’énergie traverse une crise financière aiguë. Ses déboires pourraient pénaliser les cantons et les villes romandes qui détiennent des parts dans son capital. Une crise qui reflète celle de l’ensemble du secteur.

 

Federico Franchini 8 février 2013

La nouvelle a surpris tout le monde. Le 3 décembre dernier, Alpiq annonçait la vente de sa participation dans Repower, la société électrique grisonne. Depuis un an, les difficultés du numéro un de l’énergie suisse émergeaient lentement à la surface. À la fin de l’an dernier, l’ampleur de la débâcle a soudainement éclaté au grand jour. Dans son communiqué aux médias, Alpiq terminait sur une phrase éloquente: «D’autres désinvestissements sont en préparation.» Onze jours plus tard, le 14 décembre 2012, la société communiquait la vente de ses actions dans Romande Energie. Une opération qui devrait rapporter environ 78 millions de francs. Le 20 décembre, Alpiq se sépare de 15% de sa participation à la centrale de pompage-turbinage valaisanne de Nant de Drance au profit de la société Industrielle Werke Basel (IWB). Le géant suisse conserve le 39% de la société chargée du pompage-turbinage coûtant 1,8 milliard de francs mais, selon les mots utilisés dans le communiqué de presse, l’entrée d’IWB, en qualité de quatrième actionnaire, est source de «soulagement» financier.
Soulagement. Le mot, qui signifie la diminution d’une douleur ou d’une angoisse, est approprié. Car la situation d’Alpiq est autant angoissante que douloureuse. En 2011, l’entreprise a bouclé son exercice annuel avec une perte nette de 1,3 milliard de francs. Et, pour l’année 2012, la société s’attend à un résultat en nette baisse par rapport à une cuvée 2011 déjà catastrophique. L’endettement net se situe entre 1,5 et 2 milliards de francs. La société a un besoin urgent de liquidités, d’où la multiplication précipitée de ses désinvestissements.
Avant les annonces «choc» de décembre, Alpiq avait engrangé 220 millions d’euros par la vente de sa participation dans la société italienne Edipower ainsi que 366 millions de francs grâce à la cession d’EVT à Vinci Energies. A cela s’ajoute un dédommagement de plus de 400 millions de francs dans le cadre du transfert du réseau d’acheminement d’Alpiq dans Swissgrid, la société nationale d’exploitation du réseau électrique. Et ce n’est pas tout, car l’entreprise se sépare également de sa participation dans la Società elettrica sopracenerina (SES) sans exiger de contrepartie dans le dossier du renouvellement des concessions pour l’exploitation des barrages tessinois. Sans oublier la cession des deux centrales à charbon acquises par son prédécesseur Atel en République tchèque (La Cité du 9 novembre 2012).

Mais la politique de désinvestissement ne suffit pas à sortir Alpiq du marasme. En décembre, la société a confirmé les indiscrétions publiées par le Tages Anzeiger, selon lesquelles la direction du groupe aurait demandé au conseil d’administration d’augmenter son capital-actions. Pour assurer sa survie, Alpiq devra réussir à lever au moins un milliard de francs. En Suisse romande, la nouvelle a eu l’effet d’une bombe car de nombreuses collectivités publiques sont concernées à travers leurs participations dans Alpiq. Par l’intermédiaire du holding Energie Ouest Suisse (EOS), les Cantons de Vaud, de Neuchâtel, de Fribourg, du Valais, ainsi que les villes de Lausanne et de Genève et d’autres communes détiennent, au total, 31% du capital d’Alpiq  (1). Vont-ils passer à la caisse pour sauver la société? La pression monte sur ces entités publiques engagées dans Alpiq.
Klaus Kirchmayr, député vert de Bâle-Campagne, a été le premier à réagir. Le 12 décembre dernier, il déposait un postulat au Grand Conseil au sujet de la participation des sociétés publiques bâloises EBM et EBL dans Alpiq. En cas de faillite d’Alpiq, l’approvisionnement électrique serait-il garanti dans le canton, demandait l’élu écologiste? L’inquiétude gagne tous les cantons et les villes concernées. Au cas où l’augmentation du capital-actions serait approuvée (mais à l’heure actuelle, cette option ne fait pas l’unanimité au sein du conseil d’administration d’Alpiq), cela coûterait par exemple plus de 62 millions de francs à la Ville de Lausanne (qui détient 20,08% d’EOS) et 71 millions de francs aux Services industriels de Genève (23,02% d’EOS). Si EOS Holding n’a pas donné suite à nos demandes d’informations, le conseiller d’État libéral-radical Pierre Maudet, représentant du Canton de Genève dans le Conseil des droits publics d’EOS, déclare pour sa part que, en l’état, Genève n’est pas prêt à contribuer financièrement à l’augmentation du capital d’Alpiq.

La crise d’Alpiq reflète celle de l’ensemble du secteur énergétique helvétique, notamment des entreprises suprarégionales dont le core business est l’exploitation des grandes centrales hydroélectriques, nucléaires ou thermiques (à charbon ou à gaz). Kurt Rohrbach, directeur général des Forces motrices bernoises et président de l’Association des entreprises électriques suisses (AES), le lobby des fournisseurs d’électricité, confirmait, en septembre dernier, que les revenus du secteur se sont «dramatiquement détériorés ces dernières années». En cause, la mauvaise conjoncture économique qui a d’abord provoqué une stagnation puis une diminution générale de la demande d’électricité. Mais les producteurs suisses sont aussi pénalisés par le développement des énergies renouvelables dans les pays européens.
Traditionnellement, la force du secteur électrique suisse résidait dans l’industrie hydroélectrique de pointe: dans les années 2000, les producteurs helvétiques ont gagné des milliards grâce à l’énergie fournie par les barrages et vendue à des prix élevés à nos voisins européens. Or, le développement des énergies solaire et éolienne en Allemagne a entrainé une forte baisse de la demande d’énergie de pointe fournie par les électriciens suisses. «Les entreprises électriques helvétiques ont relativement peu investi dans les énergies renouvelables, en raison des subventions moins généreuses accordées par notre pays en comparaison avec l’Allemagne par exemple», explique Franco Romerio, professeur d’économie et politique de l’énergie auprès de l’Institut de sciences de l’environnement de l’Université de Genève.
«En Allemagne les énergies renouvelables ont eu la priorité dans le dispatching des moyens de production. Cela signifie que, lorsqu’elles sont disponibles, elles provoquent un déplacement de la courbe d’offre, qui à son tour induit la diminution des prix de gros de l’électricité. (2)» Au lieu de favoriser les énergies renouvelables, les grands groupes suisses ont investi des milliards dans des installations de production fossile à l’étranger (La Cité n° 4 et 9) et dans des projets pharaoniques de pompage-turbinage en Suisse. Les investissements dans les centrales thermiques, notamment celles fonctionnant au charbon, se sont soldés par des pertes, entraînant des problèmes de liquidité, tandis que les centrales de pompage-turbinage sont désormais considérées comme des investissements à risque, selon le quotidien zurichois Tages Anzeiger.
Les analystes financiers sont pessimistes. Une étude récente du Credit Suisse (Swiss Credit Handbook 2012) souligne à quel point ce secteur est actuellement dans une phase difficile. Les notations des sociétés électriques ont été rétrogradées. Si le programme de désinvestissements ne porte pas ses fruits, Alpiq risque de voir baisser encore plus sa notation, lui empêchant de se financer sur le marché des capitaux. Le géant se couperait ainsi d’une nouvelle source de financement: l’entrée d’investisseurs privés dans le capital. Sven Bucher, analyste auprès de la Banque cantonale de Zurich, rappelle que «10% des actions sont actuellement négociées en bourse». Mais au vu de l’effondrement du cours, passant de 600 francs en 2009 à environ 115 francs début 2013, investir dans le géant helvétique ne semble plus être une option suffisamment attractive.

Comment cela se fait-il que la plus grande société électrique en Suisse, fondée il y a à peine cinq ans, se retrouve au bord du gouffre? Alpiq commence ses activités en janvier 2009, après la fusion entre Atel, l’un de grands pionniers de l’électricité suisse — issu lui-même de la fusion de Olten-Aarburg et des Officine elettriche ticinesi SA en 1936 — et EOS, première société du marché romand. Deux ans plus tôt, le 23 mars 2007, le Parlement fédéral approuve la loi sur l’approvisionnement en électricité (LApEl) qui prévoit une ouverture du marché par étapes et règlemente le marché électrique. Plaque tournante de l’électricité européenne, parce qu’elle se situe au cœur de son réseau électrique, mais aussi grâce à ses réservoirs hydroélectriques, le marché helvétique semblait dans une position prometteuse.
Les grands électriciens suisses qui, en raison de l’augmentation des prix de gros entre 2001 et 2004, avaient déjà atteint de très bons profits dans le commerce extérieur, misaient sur des perspectives très lucratives, qui ne seront jamais véritablement au rendez-vous. Le secteur suisse de l’électricité comptait alors environ 900 entreprises, parmi lesquelles sept sociétés suprarégionales, actives dans l’ensemble de la chaîne industrielle: production, transport, distribution et commerce. On s’attendait à un processus de restructuration, caractérisé par des fusions et acquisitions. Mais pour l’instant, parmi les grandes sociétés, seules ATEL et EOS ont uni leurs forces  (3). De ce mariage naitront deux nouvelles sociétés: Alpiq Holding SA, avec son siège à Neuchâtel, chargé des transactions avec le marché international, et Alpiq Suisse SA, avec son siège à Lausanne, focalisée sur le marché suisse  (4).
«Avec le rapprochement d’Atel et d’EOS, les actionnaires signataires et les deux entreprises ont posé les bases pour la constitution d’un nouveau leader énergétique suisse», soulignait l’un des premiers communiqués de presse diffusés par le groupe Alpiq. Pour plusieurs analystes, l’origine des problèmes est là, dans ces bases qui n’ont pas été très bien posées. Et pourtant, en mars 2010, lors de la conférence de presse sur les résultats du premier exercice annuel, le directeur général Giovanni Leonardi s’exclamait: «Les débuts ont été réussis.» C’était l’âge d’or des électriciens suisses, où tout allait pour le mieux dans le meilleur des marchés possibles. Mais très vite, le tableau se noircira. Après avoir quitté la société en 2011, Giovanni Leonardi, expliquera qu’une somme proche de deux milliards de francs a été versée aux actionnaires d’EOS pour les convaincre d’accepter le projet de fusion.
Or, ces deux milliards ont été inscrits dans le budget de la société, rappellera-t-il, et ont donc creusé, dès le premier jour, l’endettement d’Alpiq. L’analyste financier Sven Bucher souligne, lui aussi, ce point crucial: «Si les difficultés concernent toute la branche électrique, les problèmes d’Alpiq sont aggravés par le fait que la fusion entre Atel et EOS a partiellement été payée en cash. Avec le recul, on peut maintenant dire qu’il aurait été beaucoup mieux de rémunérer EOS Holding en actions.» Le professeur Franco Romerio pointe pour sa part un autre problème: la fusion EOS-Atel a été très problématique pour des raisons de culture d’entreprise. «Certains comportements ont été carrément schizophréniques. On a par exemple vu Alpiq s’engager dans la construction de nouvelles centrales nucléaires, alors que ses actionnaires romands avaient interdit l’utilisation de l’atome sur leur territoire», analyse-t-il.

Alpiq aurait donc démarré du mauvais pied. Le géant était né de la volonté de créer un puissant leader de l’énergie suisse actif dans un marché européen de plus en plus libéralisé. Le désenchantement domine aujourd’hui. Alors que les acteurs du marché plaident le fait que la concentration est nécessaire pour faire face à des marges qui s’érodent rapidement à cause d’une plus forte concurrence, c’est paradoxalement l’entreprise la plus grande à avoir le plus souffert de cette évolution.
Pour Franco Romerio, c’est tout le secteur énergétique suisse qui va devoir se remettre en question: «Il faut relever que sans les lignes électriques, sans les centrales nucléaires et avec des concessions hydroélectriques dont le renouvellement par les cantons et les communes semble incertain, il ne reste plus grand-chose à Alpiq. Or, le même type de problème se pose pour Axpo. Pour garder son avantage comparatif en matière électrique et réaffirmer sa compétitivité, le secteur électrique suisse a besoin d’un champion national susceptible de faire face aux grands groupes européens. Ce champion national devrait pouvoir compter sur le renouvellement des concessions d’eau, effectuer d’importants investissements dans de nouveaux moyens de production, éventuellement s’impliquer dans la distribution. La Confédération devrait jouer son rôle en prenant en considération cet objectif dans la politique énergétique qu’elle est en train de mettre au point
Qui plus est, l’affaiblissement du plus grand producteur suisse pourrait favoriser la prise de participations dans des sociétés étrangères. Face à des colosses comme Electricité de France (EDF), les grandes entreprises suisses ont plutôt la taille de nains. Selon les analystes, si la situation devait s’aggraver pour Alpiq, elle pourrait passer sous le contrôle d’EDF, un peu comme Swissair (aujourd’hui Swiss) est devenue une filiale de Lufthansa. Le groupe énergétique français détient déjà le 25% d’Alpiq, par l’intermédiaire de sa filiale EDF Alpes Investissements. Certains ont vu dans cette prise de participation une stratégie du «cheval de Troie» que EDF aurait conçue pour infiltrer le marché suisse.
L’année 2013 s’annonce décisive pour Alpiq. Les défis se multiplient pour le géant du marché, qui a entamé dès 2011 une importante restructuration de ses activités. Des dizaines d’emplois ont été supprimés et le nombre de directeurs est passé de neuf à six, dont trois sont encore en fonction. La nouvelle directrice générale, Jasmin Staiblin, a pris ses fonctions le 3 janvier dernier. Un nouveau directeur financier, Patrick Mariller, est entré en fonction en octobre 2012.

À l’instar des grandes banques, de la Poste, de Swisscom, ou des CFF, Alpiq fait désormais partie de ces entreprises too big to fail. L’intervention parlementaire de Klaus Kirchmayr, député vert de Bâle-Campagne, s’inquiétant pour la sécurité de l’approvisionnement énergétique dans son canton, a eu pour effet de ramener la mémoire à ce jour d’octobre de 2001, où les avions de Swissair étaient cloués au sol, et la compagnie, qui n’avait plus de liquidités pour payer ses fournisseurs, était condamnée au grounding.
Pour le professeur Franco Romerio, «il serait dramatique pour notre pays si, après la faillite de Swissair et les errements d’UBS et Credit Suisse, nous devions assister au glissement du secteur électrique. Le problème concerne aussi bien la stratégie des entreprises, qui n’ont pas encore tiré toutes les leçons de la libéralisation des marchés, que la politique énergétique du pays, qui pour le moment s’est limitée à dire non au nucléaire sans prendre aucune autre engagement.»


1. L’actionnariat de EOS Holding se répartit de la manière suivante: Romande Energie Holding (28,72%); Services Industriels de Genève (23,02%); Groupe E (Canton de Fribourg et de Neuchâtel) 22,33%; Ville de Lausanne (20,06%); Forces Motrices Valaisannes SA (5,87%).

2. Cette diminution a été impressionnante: entre 2008 et 2012, la moyenne journalière de l’indice SWISSIX est passée de 88.6 à 55.7 Euro/MWh (peak) et de 60.2 à 43 Euro/MWh (off-peak). Il faut y ajouter la détérioration du taux de change Euro/CHF (environ 1,55 en 2008 contre 1,20 en 2012).

3. En réalité, le processus de fusion a été plus complexe que prévu. Motor Columbus, société de participation au marché électrique qui comptait parmi ses actionnaires EDF et EOS, a décidé de se dissoudre et de transférer son capital dans une nouvelle société: la Atel Holding. Dans cette nouvelle entité s’écoulait aussi le capital d’Atel. A l’époque, cette dernière était déjà une filiale de Motor Columbus. «C’est la mère qui décide d’aller habiter avec la fille qui est en train de se marier», explique en termes métaphoriques l’économiste Angelo Rossi. La dissolution des deux sociétés (Motor Columbus et Atel) et la création d’une nouvelle entité (Atel Holding) n’était qu’un moyen pour simplifier la structure sociétaire nécessaire et préparer la deuxième phase du processus de fusion: le mariage de Atel Holding avec EOS, et la création d’Alpiq.

4. Dans le cadre de son programme de restructuration lancé en 2011, Alpiq a décidé de déplacer son siège principal à Lausanne.

 
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L’imprudence des sociétés électriques suisses à l’étranger

11 novembre 2012

Depuis 2007, les groupes énergétiques suisses ont investi dans des centrales à charbon à l’étranger. Cette stratégie se solde aujourd’hui par des déconvenues financières, doublées d’une controverse publique sur l’impact environnemental et les scandales locaux.

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Depuis 2007, les groupes énergétiques suisses ont investi dans des centrales à charbon à l’étranger. Cette stratégie se solde aujourd’hui par des déconvenues financières, doublées d’une controverse publique sur l’impact environnemental et les scandales locaux. La polémique enflamme les Grisons, où l’entreprise publique d’électricité a jeté son dévolu sur un projet en Calabre, suscitant une mobilisation populaire ainsi que l’incompréhension de parlementaires suisses et de scientifiques internationaux.

 

Federico Franchini 12 novembre 2012

Martin Schmid était à l’époque le président libéral-radical du Canton des Grisons. En mars 2007, en compagnie du conseiller d’État Stefan Engler, il arborait de larges sourires au cours d’une visite officielle à Teverola, près de Naples. Les deux ministres représentaient le gouvernement grison lors de l’inauguration d’une centrale à gaz bâtie par le groupe grisons Rhätia Energie, rebaptisé depuis Repower, en collaboration avec la société italienne Hera. Luzi Bärtsch, président du conseil d’administration de Rhätia, et Karl Heiz, directeur général, savouraient eux aussi ce «succès» industriel pour le canton de la Suisse occidentale.
C’était une période où, entre 2005 et 2008, ces deux hauts dirigeants engageaient leur société dans une campagne d’implantation de centrales à gaz et au charbon à l’étranger. D’autres groupes électriques ont entrepris ce chemin. Mais ces investissements, notamment dans le domaine du charbon, se sont révélés une péripétie semée d’embûches: oppositions locales intransigeantes, autorisations refusées, chantiers laissés en friche, dépassements budgétaires, pertes financières, le pari du charbon s’est la plupart du temps avéré perdant.

La centrale à charbon de Saline Joniche, en Calabre, est emblématique de cette stratégie imprudente. C’est en 2005 que l’ex-Rhäthia Energie lance ce très coûteux projet — devisé à plus d’un milliard d’euros — provoquant une levée de boucliers tant aux Grisons que dans la région du sud de l’Italie. Aux Grisons, des associations de défense de l’environnement ont réussi, l’an dernier, à récolter les signatures pour la tenue d’un scrutin visant à interdire les investissements étatiques dans les centrales à charbon à l’étranger. La politique énergétique du Canton des Grisons, détenteur de 46% du capital de Repower, sera ainsi soumise au vote populaire en septembre 2013.

À l’image de Repower, les écarts que les entreprises cantonales, totalement ou partiellement en mains publiques1, s’autorisent avec la politique climatique et énergétique de la Confédération, seront eux aussi débattus sur la place publique. Car le cas grison n’est de loin pas isolé.De son côté, le 1er novembre dernier, l’exécutif grison a proposé au Grand Conseil un contre-projet visant à permettre à Repower de réaliser la centrale de Saline Joniche mais la société sera contrainte, par la suite, à renoncer à des investissements dans le charbon. Dans les rue de Coire, ce sont les notes de la Tarentelle, forme musicale traditionnelle provenant du Sud de l’Italie, qui retentissent le 27 août 2011. Une importante délégation calabraise défile, main dans la main avec les écologistes suisses, devant le palais du gouvernement. Les manifestants veulent convaincre Repower et son actionnaire principal, le Canton, à abandonner le projet de Saline Joniche.

Coup de théâtre, les opposants calabrais ne sont pas les seules à avoir fait le voyage. D’autres citoyens calabrais se rendent à Coire, le même jour, pour soutenir le projet de centrale. Plus tard, Kurt Bobst, directeur général de Repower, admettra devant les caméras de l’émission alémanique Rundschau que la société a pris en charge les frais du voyage des partisans. Un geste qui suscite une vague d’indignation, déploré même par l’ancien conseiller d’État Martin Schmid, aujourd’hui membre du conseil d’administration de Repower.
Les opposants à la centrale ne veulent pas chasser Repower de Calabre, région qui a un urgent besoin d’emplois et d’investissements. Au contraire, ils demandent à la société de développer un projet d’énergies renouvelables, éco-compatibles et conciliables avec la vocation touristique de la région. Ce qu’ils ne veulent pas, c’est le charbon. Même avec les récents progrès techniques qui améliorent son rendement, ce minéral demeure l’agent énergétique qui émet le plus de dioxyde de carbone ou CO2. Les émissions annuelles qu’engendrait la centrale de Saline Joniche représenteraient, avec ses 7,6 millions des tonnes de CO2, près de 17,5% des rejets enregistrés en Suisse en 2009.

Pour Repower, les émissions de CO2 ne sont pourtant pas un motif d’inquiétude. Au contraire. Une vidéo postée sur le site de la SEI², la société chargée du projet, une co-propriété de Repower et Hera, fait l’éloge de ses «vertus»: «Lorsqu’on parle de charbon on pense toujours aux émissions de CO2 et au dit effet de serre. Il est important de rappeler toutefois que le CO2 est le gaz produit quotidiennement par les plantes et par notre organisme quand nous respirons. De ce fait il n’est pas toxique. C’est justement l’effet de serre qui permet la vie sur notre planète.» La SEI n’en reste pas là. Elle placarde la région de Saline Joniche avec des affiches illustrant la non dangerosité du CO2. Une stratégie offensive qui indigne Nuccio Barillà, dirigeant national de Legambiente, la plus importante organisation italienne de défense de l’environnement: «Repower se présente devant les citoyens non pas avec les raisons de la science mais avec des slogans, des accords secrets, des promesses éphémères et surtout avec l’attitude de la poule aux œufs d’or. Tout ça dans la pire logique coloniale
L’entreprise publique grisonne n’est pas la seule à s’être lancée dans l’aventure du charbon. Dans la dernière décennie, la branche de l’énergie suisse a enregistré de très juteux résultats. Les bénéfices du secteur ont presque décuplé, en passant de 670 millions en 1999 à 5,62 milliards en 2009. Alors qu’en Suisse la production d’électricité à partir du charbon n’est pas envisagée ni envisageable, entre 2005 et 2008, les grandes sociétés électriques suisses ont investi une partie de ces profits dans des projets de centrales à l’étranger.

Les Forces motrices bernoises (FMB) ont projeté la construction de deux centrales, l’une à Wilhelmshaven, l’autre à Dörpen, les sociétés romandes Groupe E, Romande Energie et Gruyère Energie se sont lancées, avec la même Repower, la baloise EBM ainsi que la saint-galloise SN Energie, dans un projet à Brunsbüttel. L’Azienda elettrica ticinese et la Regio Energie de Soleure ont en revanche misé sur Lünen. Quant à Alpiq, elle possédait déjà deux centrales en République Tchèque, rachetées par l’ancienne Atel, ainsi qu’une participation dans la centrale italienne de Brindisi.

 
© Charlotte Julie / 2010

© Charlotte Julie / 2010

 

Quelques années plus tard, la majorité de ces sociétés reviendra sur ces choix. La plupart de ces chantiers ont été arrêtés, contrariant les investisseurs. Le projet de la centrale de Brunsbüttel s’est par exemple soldé en 2012 par une perte de 7 millions de francs pour Repower. Abandonné par les autres partenaires suisses de la société grisonne, le projet a été enterré. Actuellement, parmi les centrales avec une participation helvétique, seulement celles de Wilhelmshaven et de Lünen sont en phase de construction. Mais les travaux sont retardés à cause d’entraves techniques ou d’autorisations, entraînant une hausse des coûts.
Qui plus est, le marché a pénalisé les investissements à l’étranger des sociétés suisses. L’an dernier, les grands groups helvétiques ont annoncé des résultats en forte baisse. En janvier dernier, les FMB annonçaient un déficit de 150 millions de francs en 2011. La participation dans la centrale à charbon de Wilhelmshaven est en cause. Antonio Sommavilla, porte-parole de la société, concède que la ruée vers le charbon a pris fin: «La centrale de Wilhelmshaven restera la seule centrale à charbon dans notre portefeuille. De tels projets ne correspondent plus à notre stratégie

Même discours chez Alpiq qui, en 2011, a bouclé son exercice annuel avec une perte nette de 1,3 milliard de francs: «Nous n’envisageons pas d’investir dans de nouvelles centrales dans notre portfolio», explique son porte-parole Martin Stutz. Alpiq a par ailleurs entrepris une restructuration drastique, procédant à des licenciements ainsi qu’à la vente de sa participation dans la centrale à charbon de Brindisi. En décembre 2008, la conseillère nationale écologiste bernoise Franziska Teuscher rendait attentif le Conseil fédéral sur le danger d’un retournement économique: «Il est prévisible que les centrales à charbon deviendront à moyen terme des gouffres financiers avec toutes leurs conséquences indésirables pour les Cantons, les Communes et, en fin de compte, les consommateurs en Suisse.» Cette prédiction se fondait sur le projet de l’Union européenne de mettre aux enchères les certificats d’émission du CO2. Ce qui entraînerait d’importants coûts supplémentaires pour la production d’électricité à partir du charbon.

Mais les écologistes ne sont pas les seuls à avoir semé le doute. Dans une étude parue en 2010, le think thank néolibéral Avenir Suisse présentait ces investissements à l’étranger comme «une importante prise de risque avec l’argent des contribuables». Au mois d’août 2011, de nombreux scientifiques et économistes suisses s’adressaient à la direction de Repower pour la prévenir, à leur tour, des risques économiques des investissements dans le charbon3. Récemment, même le président du plus grand opérateur électrique italien, ENEL, a concédé que les centrales exploitant le fameux minéral ne sont plus rentables. Notamment en Italie, pays qui dispose d’un parc de production énergétique qui équivaut déjà au double de la consommation maximale, alors que la Calabre exporte également son énergie.
Pour justifier des investissements massifs, la branche électrique suisse a longtemps agité l’épouvantail de la pénurie, affirmant que des coupures de courant auraient pu intervenir si les capacités de production n’étaient pas rapidement renforcées. Il fallait à cet effet diversifier la production pour pouvoir à la fois faire face à l’augmentation de la demande et «garantir des prix favorables à l’économie suisse». Mais la motivation était surtout financière. Ces investissements étaient considérés potentiellement très lucratifs, le prix de l’électricité étant en hausse. De plus, cerise sur le gâteau, les sociétés helvétiques feraient leur entrée dans le juteux marché européen.

Reste que la réalité n’est pas aussi brillante. «Nous sommes actuellement dans une situation de surproduction d’électricité», affirme Thomas Zwald, membre de la direction de l’Association des entreprises électriques suisses, le lobby de la branche, dans Le Temps du 12 octobre 2012. La marge confortable que pouvaient s’assurer les producteurs helvétiques grâce à l’électricité de pointe fournie par le charbon a fondu avec le développement des sources alternatives. «Il faut considérer le fait que les prix de l’électricité ont diminué de manière significative et que la croissance actuelle des énergies renouvelables entraînera une situation de surcapacité dans les années à venir», explique Rolf Wüstenhagen, directeur de l’Institut d’économie et d’écologie de l’Université de Saint-Gall. «Les énergies renouvelables étant une priorité politique et ayant des coûts marginaux très faibles, la production d’électricité au charbon devient moins rentable.» Le risque est alors que, lorsque les centrales de Wilhelmshaven et Lünen seront complétées, il y aura un excédent du courant disponible à partir du charbon. Les groupes électriques seraient ainsi contraints à vendre leur énergie en-dessous du prix du marché et les énormes investissements dégagés risqueraient de ne pas être préservés.

Lorsqu’ils se sont lancés dans l’aventure du charbon, les dirigeants des sociétés électriques ont opéré ce choix dans le cadre de «leur propre» vision stratégique de l’entreprise. Ces sociétés étant majoritairement publiques, la nature de leurs investissements à l’étranger doit pourtant être soumise au contrôle démocratique. La réputation et la cohérence de la politique climatique et énergétique de la Suisse sont en jeu. Peut-on concilier les efforts en faveur de la protection du climat, visant à contenir le réchauffement planétaire, avec des investissements publics dans des centrales à charbon? Alors que la Confédération entend jouer un rôle de premier plan dans la lutte contre le changement climatique au niveau mondial, peut-on ignorer l’impact de tels investissements à l’étranger?

 
 

En novembre 2008, le célèbre climatologue étasunien James Hansen s’adressait directement au Conseil fédéral: «La Suisse n’a jamais exploité de centrale à charbon et vous avez réussi à produire l’intégralité de votre courant sans combustibles fossiles. Malheureusement, j’ai appris qu’au moins neuf entreprises publiques suisses prévoient de produire de l’électricité à partir du charbon en Allemagne et en Italie. Ceci constituerait un virage désastreux de la part d’un pays dont la réputation en matière d’écologie est exemplaire.⁴» C’est alors que la question, jusque-là largement ignorée, prend finalement une dimension nationale. En décembre 2008, une interpellation de Franziska Teuscher demande au Conseil fédéral de réglementer ou interdire les participations d’entreprises électriques suisses dans des centrales à charbon à l’étranger.
Cette interpellation sera suivie, quelques mois plus tard, par une motion déposée par le conseiller national socialiste Eric Nussbaumer, réclamant une modification de la loi afin que «les participation prises dans des centrales électriques étrangères par des sociétés helvétiques fassent l’objet d’une obligation de notification et soient soumises à un contrôle des participations». La Confédération ne détenant pas de capital dans les sociétés électriques, l’exécutif fédéral recommande de rejeter cette motion, et passe la balle aux Cantons: «Le Conseil fédéral ne peut ni réglementer ni empêcher les investissements à l’étranger des entreprises d’électricité. Ces investissements sont fondés sur les décisions stratégiques de ces entreprises, détenues pour la plupart par des cantons, des villes ou des communes. Contrairement à la Confédération, ces instances sont aujourd’hui déjà habilitées à empêcher, si nécessaire, de tels investissements.»

Cette recommandation, prononcée en 2009, doit résonner fortement dans les oreilles de Martin Schmid, conseiller d’état grison entre 2003 et 2011. C’est au milieu de son mandat, en 2007, qu’il se rend en Italie pour inaugurer la centrale à gaz de Repower à Tevarola. Aujourd’hui, Martin Schmidt représente le Canton à Berne et est membre du conseil d’administration de la société électrique. Deux autres anciens conseillers d’état grisons siègent actuellement au Conseil d’administration de la société qui a établi son siège dans la vallée italophone de Poschiavo. Tournant le dos aux liens d’intérêts entre ces ex-magistrats et la régie électrique grisonne, le gouvernement du canton affirme qu’il ne peut se mêler de la stratégie de la société: «Il est de la responsabilité du conseil d’administration d’évaluer les projets et de s’assurer que les intérêts de la société et donc aussi des ces actionnaires soient garantis.» L’exécutif grison répondait en ces termes à une interpellation du Grand Conseil sur l’investissement controversé de Repower en Calabre.
En septembre dernier, sur le plateau de l’émission Falò de la RSI, le chef du Département grison de l’énergie, Marco Cavigelli persiste et signe: «Ce n’est pas à l’État de diriger Repower, celle-ci étant une société privée.» Dans un article de la Süddeutsche Zeitung paru en 2010, Martin Schmid soulignait pourtant que, pour le Canton des Grisons, il est très avantageux de disposer d’un droit d’intervention auprès de Repower: «Si ce groupe était uniquement composé d’investisseurs privés, il aurait déjà délocalisé dans un autre canton ou même à l’étranger.» En réalité, le gouvernement grison pourrait bel et bien exiger une position plus cohérente de son groupe énergétique avec le plan énergétique cantonal 2009-2012. Selon ce document, les Grisons, région alpine particulièrement concernée par le changement climatique, doivent prendre des mesures et faire des investissements pour limiter l’impact du réchauffement.

Malgré cela et les exemples de ces sociétés suisses enlisées dans le marché du charbon, sans se soucier du fait que le projet de Saline est fortement critiqué, tant au Grison qu’en Calabre, l’exécutif cantonal refuse de remettre en question la stratégie de Repower: «Si l’Italie prévoit l’exploitation du charbon et du gaz et si l’on veut participer à ce marché on doit respecter les normes en vigueur dans ce pays. On ne peut pas prendre les standards suisses et les transférer en Italie. L’Italie est un pays autonome qui peut décider lui-même le standard des sources énergétiques qu’il souhaite. Si moi je veux une entreprise active à niveau international, les lois du pays d’implantation sont les seules à être déterminantes», déclare Mario Cavigelli à la RSI. Se sentant injustement mise sous un mauvais jours par la presse qui, selon Repower, aurait diffusé des opinions négatives et des informations erronées, la société a récemment souligné, via un communiqué, son engagement à respecter les lois italiennes et à adopter une attitude orientée vers le dialogue. Politiquement, le projet continue dès lors de bénéficier de soutiens dans les plus hautes sphères de l’État grison.

Mais des divergences pourraient en revanche surgir au sein même du conseil d’aministration de Repower, par les trois représentants de l’entreprise Axpo, dont la politique est de ne pas favoriser la construction de centrales au charbon. Que fera Alpiq, l’autre grand partenaire de Repower? Bien qu’il affirme ne plus vouloir investir dans le charbon, l’une de ses deux centrales en République tchèque est en train d’être agrandie. à ce stade, la responsabilité d’Alpiq, détenue par des communes romandes, reste engagée.

 
 

Pour Repower, les problèmes se cumulent, qui ne sont pas seulement liés à l’opposition populaires et aux polémiques relatives aux financements de groupes pro charbon. à Milan, un collaborateur aurait détourné plusieurs millions de francs de la caisse de l’entreprise. Il est actuellement mis en examen pour fraude. En Italie toujours, Repower a récemment été condamné par l’autorité antitrust à payer une amende de plus de cent mille euros pour avoir participé à un cartel électrique avec EGL Italie, société détenue au 100% par Axpo. Le groupe grison a aussitôt déposé un recours.
À cela s’ajoute la chute du résultat du premier semestre 2012 qui a fondu de 37% par rapport à la même période de 2011. Ces déconvenues en cascade interviennent alors que la société est en train de bâtir une grande usine de pompage-turbinage d’une puissance de 1000 mégawatt entre le lac de Poschiavo et le lac blanc dans le col de la Bernina. Il s’agit de pomper l’eau des deux lacs pour la stocker dans des bassins d’accumulation lorsque la demande d’énergie est faible (la nuit), afin de la libérer plus tard et produire ainsi de l’électricité lorsque la demande est forte (le jour). L’objectif est de gagner beaucoup d’argent grâce au négoce d’électricité⁵.

En Suisse, d’autres projets de ce genre sont en cours à Glaris et dans le Bas-Valais. Il s’agit d’investissements financièrement énormes, à dix chiffres, considérés à haut risque au moment où les groupes suisses voient fondre leurs marges sur l’énergie de pointe, produite à la demande à partir des barrages. Or le développement des nouvelles sources d’énergie éolienne et solaire dans les autres pays est en train de faire reculer la demande de cette énergie. Encore un exemple de la stratégie à courte vue de la branche électrique? La désolante aventure du charbon n’aura, à l’évidence, pas servi de leçon. Bien que des études montrent que les entreprises suisses sont à la traîne dans le domaine des énergies vertes par rapport aux pays voisins6, les récents investissements consentis par celles-ci n’ont de loin pas vocation à combler cet écart. Bien au contraire, 96% de l’électricité produite à l’étranger par des entreprises suisses provient de sources non renouvelables, alors que 88% des projets en cours sont des centrales à combustible fossile, selon les données qui nous ont été fournies par la Fondation suisse pour l’énergie, actualisées à fin juin 2012.
De la part d’entreprises totalement ou partiellement en mains publiques, on pourrait s’attendre à ce qu’elles soutiennent la politique énergétique que la Confédération doit mener pour sortir du nucléaire, basée sur les économies d’énergie et développement des sources renouvelables. C’est donc à l’appui des ces objectifs que devraient être consacrées les réserves financières des acteurs publics actifs dans le marché de l’énergie. Non à compliquer l’ambitieuse mission que Berne s’est donnée: abandonner l’atome.


1. Le capital de Repower se répartit entre le Canton de Grison 46% (majoritaire), Alpiq 24,6%, Axpo 21,4%. Celui d’Axpo est détenu à 100% par des cantons de la Suisse nord orientale; les actionnaires d’Alpiq sont les municipalités et les cantons de Suisse romande; les Forces motrices bernoises (FMB) sont contrôlées à 52,5% par le Canton de Berne, et à 10% par le Groupe E, détenu à son tour à 78% par le Caton de Fribourg.

2. Le capital de la société Saline Energie Ioniche (SEI) se partage entre Repower (57,5%), le Group Hera (20%), Foster Weheler Italia (15%), et le groupe d’investissement Apri Sviluppo (7,5% ).

4. http://www.foes.de/pdf/2011-08-Offener-Brief-Kohlekraft.pdf

5. L’activiste zurichois Peter Vogelsanger dénonce des liens entre les projets de centrales au charbon et les projets de pompage-turbinage développés par Repower: «Entreprise trop petite par rapport à l’étendue de ses projets, elle risque la faillite si ses investissements ne s’avèrent pas rentables. Or si l’électricité sur le marché du pompage-turbinage est trop chère, Repower compte sur le fait que les centrales à charbon produisent à bas coût et compenseraient ainsi les éventeuels pertes dans les projets de pompage-turbinage.» C’est pourquoi, selon Peter Vogelsanger, Repower planifie une centrale en Calabre, afin d’assurer ses arrières dans la construction d’une usine de pompage-turbinage à Campolattaro, dans la région de Naples. Pour sa part, Repower a toujours nié toute relation entre ces deux types d’investissements

6. Les nouvelles énergies renouvelables représentent 0,26% de la production suisse. Cette part est proportionnellement 34 fois plus importante en Allemagne, 12 fois en Autriche et 7 fois en France, selon les statistiques de l’Office fédéral de l’énergie.

 
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